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obesite et intérets économiques

Extrait de Toxic, le livre passionnant de William Reymond, que je vous conseille de lire :

« Nikhil Dhurandhar n’est pas le seul à partir à l’assaut de l’eldorado de l’obésité. Il faut dire qu’un marché potentiel de 75 millions de patients, rien qu’aux États- Unis, a de quoi exciter l’industrie pharmaceutique. Ainsi, la revue spécialisée Pharmaceutical Executive affirme que les revenus du traitement de l’obésité seront « aussi importants voire plus » que ceux du cholestérol. Et les calculs les moins optimistes estiment ce nouveau pactole à 18 milliards de dollars la première année.

Mais voilà, pour que cette vision devienne une réalité palpable, une source de dividendes colossaux pour les actionnaires des grands labos, il faut d’abord que l’obésité soit reconnue comme une « vraie » maladie. Qui ne soit pas traitée par des modifications du mode de vie mais par le recours à la médicalisation.

Impossible ? Non. Car ce serait oublier que le plus grand talent de l’industrie pharmaceutique « n’est pas dans la recherche et le développement, mais dans le marketing ».

Si, dans la confidentialité des réunions commerciales de l’industrie pharmaceutique, on utilise le terme de condition branding (« apposer une marque à un problème de santé ») ’, Scott Grundy préfère user d’un autre vocabulaire.

Depuis 2001, ce directeur du Centre de la nutrition humaine à l’université Texas Southwestern de Dallas est en mission. Il parcourt le monde, de conférence en colloque, pour répandre la bonne parole. Cet ancien cardiologue, et pionnier de la médicalisation du traitement du cholestérol, a enfourché un nouveau cheval de bataille : le syndrome métabolique. Qui, à en croire la voix monotone de ce praticien, serait le mal qui ronge actuellement une majorité d’Américains.

Le syndrome métabolique de l’organisme cher à Grundy se caractérise par cinq facteurs : un taux élevé de sucre, une présence massive d’acides gras dans le sang, une tension haute, une déficience en bon cholestérol et de l’obésité. Il suffit à un patient de présenter trois de ces critères pour être, selon lui, atteint par ce syndrome. Du moins, pour que votre médecin vous indique que vous l’êtes, puisque le syndrome lui-même n’existe pas en tant que tel !

Il s’agit en fait uniquement d’un terme générique et fourre-tout. D’un assemblage de symptômes liés à l’obésité mais qui, réunis sous un nouveau nom, présente un avantage de… poids : la transformer en maladie pouvant être médicalisée. Ou encore devenir l’excuse idéale mise en avant par les fabricants de spécialités grasses et sucrées pour innocenter leurs produits. De fait, à la fin du mois de novembre 2006, se tenait à Paris une conférence au titre sans ambiguïté : « Le syndrome métabolique : quelles opportunités pour l’industrie agroalimentaire ? »

Consciente des enjeux financiers de ce nouveau label, la recherche sur ce point s’emballe aux États-Unis. Suivant les traces initiées par Grundy, ce sont plus de 15 000 études qui ont été menées ces cinq dernières années, donnant ainsi naissance à une maladie qui n’existe pas, mais dont les perspectives lucratives sont, elles, bien réelles.

Cette dérive a le don d’irriter Richard Khan. Ce scientifique qui travaille pour la puissante American Diabetes Association vient de passer deux ans à analyser la majorité de ces études. Ses conclusions sont sans appel. Motivée par la perspective d’un énorme marché et les bourses versées par l’industrie pharmaceutique, la recherche américaine s’est précipitée en masse dans cette direction sans même prendre le temps de mesurer la solidité des fondements du fameux syndrome. Ce que Khan a fait, lui. Résultat ? Le syndrome métabolique est construit sur « du vent, sans aucune preuve ». Khan estime en fait que ce syndrome est une manière habile et nouvelle de parler de l’obésité, rien de plus. Un comportement qu’il condamne : « Vous ne pouvez pas inventer quelque chose simplement pour vous permettre de traiter un patient. La médecine, ce n’est pas cela. » Le débat fait rage.

Les travaux et les remarques de Richard Khan n’y peuvent pourtant pas grand-chose. Désormais, la machine à fric est en marche. À Washington, l’industrie pharmaceutique a investi des millions de dollars dans le lobbying destiné à faire accepter l’idée que l’obésité est une maladie. Et que le syndrome métabolique est son nom. Pourquoi ? Parce que l’enjeu s’avère colossal. Une fois ce pas franchi, l’équivalent américain de la Sécurité sociale et des mutuelles ne seront-ils pas obligés de rembourser les prescriptions pour un mal certes fictif mais devenu officiel ?

Il faudrait être sourd pour ne pas entendre le piaffement d’impatience des laboratoires. On estime ainsi qu’au moins 350 produits étaient en phase de développement en 2006 pour répondre à ce « syndrome métabolique ». En Europe, depuis l’été 2006, la société française Sanofi-Aventis fut de son côté la première à commercialiser un médicament répondant au dit syndrome, Acomplia, pas encore arrivé sur le marché américain. Pourquoi cette retenue ? De mauvaises langues murmurent que la FDA, l’organisme en charge de la validation des aliments et des médicaments, s’inquiéterait d’éventuels effets secondaires du produit. Craintes fondées ou protectionnisme bien compris ? (NB : l’Acomplia a depuis été retiré du marché en France pour ses effets indésirables)

Quoi qu’il en soit, de Grundy à Khan, tous savent pertinemment que le syndrome métabolique et ses pilules magiques feront un tabac auprès du public. Et que la plupart des Américains se réjouiront d’abandonner à la médecine ce qui relève plutôt parfois d’une responsabilité purement individuelle. Peu importera même alors le sérieux ayant présidé à la création de cette nouvelle appellation. Car, comme le proclame déjà le président de l’American Obesity Association, « l’avenir de l’obésité sera un médicament » !

 

 

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Extrait de Toxic, l’excellent livre de William REYMOND :

Jusque-là, les victimes du diabète non-insulinodépendant avaient au moins cinquante ans. Et puis, un jour, les cabinets et les hôpitaux durent gérer un afflux de malades entre vingt et trente ans. Suivis ensuite par des adolescents. Et en 2006, on constate même des cas d’enfants de dix et onze ans. Au Texas, le département en charge de la santé des habitants estime même que 45 % des nouveaux cas diagnostiqués de diabète de type 2 concernent des enfants de moins de seize ans !

Le point commun de cette nouvelle génération de diabétiques est flagrant : tous sont obèses.

En somme, l’expression « diabète de l’âge mûr », est obsolète. Cette terminologie ne correspond plus à la réalité. Comment même user de ce terme pour un patient qui n’a pas encore entamé sa puberté ?

Quelque part entre la fin des années 1980 et le début des années 1990, la maladie est donc devenue uniquement un diabète de type 2. Une démocratisation pour le pire.

Techniquement, le diabète de type 2 ressemble à ceci : « Les cellules du corps deviennent résistantes à l’insuline. Normalement, cette hormone agit comme une clé qui permet aux sucres d’entrer dans les cellules, ce qui est essentiel à leur bon fonctionnement. Lorsque les cellules font de la résistance, le pancréas doit redoubler d’efforts pour produire davantage d’insuline et forcer le passage du sucre dans la cellule. Avec le temps, le pancréas s’essouffle. Le taux de sucre augmente dans le sang. Le diabète de type 2 apparaît ».

Au quotidien, ce mal s’avère intenable dans ses formes sévères. La maladie ronge le système nerveux du patient, le détruisant chaque jour un peu plus. Puis, comme c’est le cas avec le sida, le système immunitaire se fragilise et apparaît déficient, mettant le malade à la merci de la moindre infection. Une simple grippe peut se transformer en maladie mortelle.

Les conséquences ne s’arrêtent pas là. Au risque élevé de crise cardiaque, d’attaque cérébrale, il convient d’ajouter celui de perte de la vue. Ainsi, aux États-Unis, chaque année, près de 24 000 diabétiques deviennent aveugles. (Un chiffre permettant au diabète de type 2 de devenir la première cause de cécité aux USA).Quasiment le double se retrouvent privés de l’usage de leurs reins et deviennent tributaires, un jour sur deux, de plusieurs heures passées « reliés » à une machine à dialyse.

Mais il y a pire encore. Le diabète de type 2 peut entraîner de graves difficultés de la circulation sanguine, obligeant à l’amputation des extrémités. Or, ne croyez pas qu’il s’agisse d’une minorité des malades. En 2004, 82 000 Américains ont été amputés d’un pied, d’une partie de la jambe ou de la main. Et 80 % des diabétiques de type 2 sont obèses. Huit patients sur dix sont donc atteints d’une maladie évitable.

Ici, au Fat Land, le diabète de type 2 est désormais en quelque sorte la maladie officielle de la pandémie d’obésité. Si la France compte « seulement » 2 millions de cas, leur nombre dépasse 21 millions aux États-Unis. Plus grave, 54 millions d’Américains sont considérés comme prédiabétiques. Ce qui signifie que le taux de sucre dans leur sang est déjà au-dessus de la moyenne et leur pancréas prêt à céder. D’ici 2050, le CDC avance que le nombre de malades franchira la barre des 60 millions. Avec un tiers d’adolescents et d’enfants.

Bien évidemment, la prolifération de cette maladie et le coût colossal de son traitement vont mettre en péril le système économique américain. Comme cela arrivera ailleurs aussi puisque la tendance est comparable dans le monde entier. Interrogé en 2002 par Radio Canada, le docteur Patrice Perron se refusait à toute ambiguïté : « Si rien n’est fait, disait-il, on s’en va vers une épidémie parce que l’obésité est en augmentation flagrante. Notre système de santé, qui est déjà à la limite, je crois, va exploser. Au cours des prochaines années, il y aura deux à quatre fois plus d’hospitalisations pour des problèmes cardiaques chez les diabétiques, le nombre des patients en hémodialyse doublera et on verra trois fois plus d’amputations reliées au diabète. Notre système de santé sera incapable d’assumer tout ça ».

 

Le Texas Children Hospital de Dallas est un hôpital modèle. Année après année, il figure dans le classement des meilleurs centres de soins des États-Unis. Sa section consacrée aux diabétiques de type 2 est l’une des plus vastes du pays. Sa clinique traite en permanence 300 patients. Et, là encore, la tendance est à la hausse. Lors d’une visite, au printemps 2006, j’ai constaté que cet établissement avait « enrôlé » 75 nouveaux patients. Dont le plus âgé avait treize ans.

Ici, les médecins se retrouvent devant une situation paradoxale.

D’un côté – et ils en conviennent sous couvert d’anonymat -, l’aspect financier de cette nouvelle crise n’est pas forcément pour eux une mauvaise nouvelle. Puisque le centre propose des diététiciens, des soins adaptés aux enfants et à leurs familles et même, chaque été, une colonie de vacances pour petits diabétiques, l’argent rentre sans problème.

Mais de l’autre, tous savent que la « saloperie », comme ils l’appellent, est directement liée à la pandémie d’obésité. Donc que ce qu’ils constatent est évitable.

Mais voilà, la prévention ne rapporte rien. Et combattre en amont l’apparition du diabète de type 2 ne génère pas de prescription de médicaments coûteux.

Le Texas Children Hospital de Dallas symbolise parfaitement la secrète ambiguïté que j’ai découverte tout au long de mon enquête : dans un monde où seul le marché compte, il n’y a aucun bénéfice financier à tirer du fait de garder les citoyens en bonne santé. Alors que ceux poussant à les soigner sont en revanche énormes. La preuve : en 1999, le fabricant pharmaceutique Eli Lilly and Company inaugurait sa nouvelle usine. Sept ans plus tard, il s’agit encore du centre de production le plus important au monde dédié à un seul produit. Eli Lilly and Company, porté par un taux de croissance annuel de 24 %, y fabrique de l’insuline destinée à traiter les malades atteints du diabète de type 2.

Pour tout dire, cette idée me trottait dans la tête depuis un moment, même si elle me semblait par moments extrémiste. Certains n’avaient-ils pas intérêt à ne pas tout faire pour enrayer le fléau ? Je tournai et retournai la question, refusant d’y croire tant cela me semblait outrancier, quand une chose me frappa. Quittant l’étage où des enfants risquaient une amputation pour cause de trop de malbouffe, j’ai reconnu une odeur à la fois écœurante et familière. Au rez-de-chaussée du Texas Children Hospital de Dallas, là sur ma droite, brillaient les lettres dorées de l’enseigne d’un McDonald’s.

Le géant du fast-food n’est pas seul : Starbucks, Subway, Pizza Hut et Chick-fîl-A sont également représentés à l’hôpital pour enfants de Dallas. »

la suite ……. demain.

 

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