Extrait de Toxic, le livre enquête de William REYMOND :
« Il existe deux tons de lagons : le fluorescent et le foncé. Pas marron ni noir, mais rose. La couleur est étonnante, et ne cadre pas, a priori, avec l’odeur ou la provenance des éléments qui la composent. Pourtant, cette teinte est logique. Elle résulte des conditions d’élevage des porcs.
Le mélange puant est en effet constitué d’excréments, d’urine, de sang, mais aussi de cadavres de porcs et porcelets et… de millions de bactéries.
Il y a vingt ans, les lagons n’existaient pas. La majorité des déchets était réutilisée comme engrais. Un processus rendu caduc par l’industrialisation de la production de viande. Désormais, les terrains entourant les « fermes » ne sont même plus assez vastes pour recycler la quantité de déjections produite chaque année par les animaux. Smithfield Foods, le numéro un de la production de viande de porc, doit par exemple tous les ans gérer plus de 26 millions de tonnes de déchets. Comme leur épuration est compliquée et chère, l’industrie a préféré opter pour le lagon. Certains d’entre eux, ouverts aux quatre vents, atteignent les 10 000 mètres carrés, avec une profondeur de 9 mètres. L’idée est basique : on les remplit jusqu’à la gorge et, ensuite, on en creuse d’autres.
Autre solution : espérer. Attendre, par exemple, qu’un ouragan emporte le tout, comme cela arriva en Caroline du Nord en 1990. L’ouragan Floyd a causé une catastrophe écologique deux fois plus grande que celle de l’Exxon Valdez, les éléments déchaînés ayant entraîné le déversement de 500 millions de litres d’excréments dans les rivières de l’état. Quinze ans plus tard, les effets de ce cataclysme sont toujours visibles : la vie aquatique ne s’est jamais remise de la disparition de plus de 10 millions de poissons, l’eau est impropre à la consommation et dangereuse à la baignade.
Du côté de Smithfield Foods, le bilan de l’ouragan est bien différent. Grâce à Floyd, il n’a pas été nécessaire de creuser d’autres lagons : ceux vidés par la tempête n’ont pas encore fini d’être remplis.
Smithfield Foods n’est pas seulement le numéro un du porc, c’est aussi la société la plus polluante des États- Unis. Depuis le début des années 1990, l’Environmental Protection Agency (EPA) a relevé plus de 2 500 000 infractions aux divers codes protégeant l’environnement américain imputables à cette compagnie. 64 d’entre elles sont devenues des amendes. Un taux ridicule qui s’explique d’un côté par un processus administratif lent et doté de peu de moyens ; et de l’autre par le considérable pouvoir financier de Smithfield Foods. Si ADM est incontournable dans le grain, Smithfield Foods l’est dans le porc, vendant chaque année près de 3 millions de tonnes de viande. Ce succès s’accompagne évidemment de contributions aux campagnes de certains candidats. Qui, majoritairement républicains, sont unanimement opposés à toute régulation handicapant l’industrie animale. Et lorsque Smithfield Foods n’a pas de cheval électoral sur lequel miser, il organise des campagnes à coups de millions de dollars contre ce qu’il nomme « les candidats anti-porcs ».
De temps en temps pourtant, Smithfield Foods se voit condamné. En 1997, en Virginie, la firme a été obligée de verser 12,6 millions de dollars. S’il s’agit de la plus grosse amende jamais payée, ce chiffre fait sourire Joseph Luter III, propriétaire de l’entreprise. Après tout, cela équivaut à son salaire annuel hors bénéfice (19 millions de dollars en 2005) et à seulement 0,035 % des ventes annuelles de Smithfield Foods.
Le plus inquiétant, c’est que Luter soit devenu gourmand. Désormais, la première marche du podium américain ne lui suffit plus. Il rêve du monde. Et plus précisément de l’Europe. En 1999, Smithfield Foods et ses méthodes de production ont envahi la Pologne. Avec des conséquences similaires. D’abord, la concentration d’élevages à bas prix a poussé à la faillite les porcheries locales. Puis les habitants vivant à proximité des centres de production ont fait la « connaissance » des lagons. En 2003, à Byszkowo, une fosse s’est même déversée dans le système d’eau potable. Résultat, le lac voisin est devenu marron et certains habitants ont développé des infections cutanées et oculaires.
L’an prochain, Smithfield Foods, satisfait de son expérience polonaise, compte investir 800 millions de dollars sur cinq ans en Roumanie. Le but de Luter n’est pas de nourrir l’ancienne Europe de l’Est mais d’envahir, sous des dizaines de labels et de marques, le fort lucratif marché de l’Europe de l’Ouest. Et, comme aux États-Unis, d’offrir des tonnes de côtes de porc bien grasses à petit prix. »
la suite …….demain.
Dr BUENOS : le livre toxic a été écrit en 2007 .
Le 12 Mai 2013, les éleveurs de porcs français ont initié une série d’actions pour attirer l’attention de l’opinion publique sur le fait qu’ils vendaient depuis 6 mois leurs porcs à perte (20 centimes de perte par kg; le kg étant payé 1 euro 70).
Ils souhaitaient par ailleurs la création du label VPF (viande porcine française).
Les propos de William REYMOND étaient prémonitoires ….
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Extrait de Toxic :
« Cette odeur avait un nom. Dans le jargon de l’élevage industriel, on appelle cela des « lagons ». Une référence paradisiaque pour le moins ironique puisque les responsables du fumet pestilentiel planant sur Clinton étaient d’immenses étangs débordant de merde.
La pollution qui tue lentement les côtes de la Louisiane ne provient pas seulement de l’engrais utilisé pour accroître la production de maïs. Elle tient aussi au refus de gérer les déchets produits par les millions de têtes de bétail. Pour en mesurer l’ampleur, il faut savoir qu’une vache produit 30 kg d’excréments par jour. Quand leur nombre approche celui de la population française, on imagine l’enjeu que cela représente. Quant à la volaille, elle donne 6 milliards de tonnes de déjections par an. Le pire, ce sont les porcs, concentrés par dizaines de milliers dans des « fermes » semblables à celles situées à proximité de Clinton. Chaque jour, un cochon produit trois fois plus de déchets qu’un être humain. Si cette caractéristique restait gérable à l’époque des exploitations familiales, elle ne l’est plus lorsque certaines « usines » regroupent jusqu’à 500 000 bêtes.
Le sort de ces excréments ne fascine pourtant pas grand monde. Rien de ce qui se passe derrière ces enclos modernes n’intéresse d’ailleurs l’opinion publique. Or, nous sommes tous concernés. Pas seulement parce que ces déchets organiques en surnombre détruisent notre environnement ou changent radicalement notre rapport au monde animal, mais parce que, en bout de course, la viande sur pied qui les produit est responsable de l’obésité, avec son lot d’ennuis cardio-vasculaires, de résistance aux antibiotiques et de cancers.
Si personne ou presque ne cherche à effectuer ce voyage en terres d’élevage industriel, c’est parce que l’ignorance constitue pour beaucoup la meilleure garante de notre tranquillité et de notre confort. Avant de savoir, je plantais moi- même ma fourchette dans un steak avec insouciance. Mais plus maintenant. Et je ne le regrette en rien. Le périple des côtes de la Louisiane aux plaines de l’Oklahoma m’a permis de comprendre l’enjeu de mes choix. Nous vivons dans un monde où nous consacrons plus de temps et d’énergie à sélectionner le bon iPod, le meilleur téléphone portable et le dernier pantalon à la mode qu’à choisir intelligemment nos aliments. C’est une erreur. Manger représente une étape essentielle, cruciale. Et si en trente ans, nous nous sommes débarrassés de cette responsabilité, nous avions tort. Car, en la confiant à des multinationales – dont le seul intérêt est le profit -, nous avons abandonné une part de nous-mêmes. Et ce qui se passe derrière les murs des fermes industrielles est le terrible miroir de notre échec.
Pour l’exemple, dans lUtah une « ferme industrielle » du groupe Smithfield Foods « produit chaque année plus de matières fécales que le 1,5 million d’habitants de Manhattan ».
La suite …. demain.
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