Extrait de Toxic, le livre de William Reymond :
« Il existe différentes manières de démontrer l’inutilité de l’utilisation de pesticides et les risques qu’elle engendre.
Certains choisissent, avec brio, de démonter point par point l’argumentation des gardiens de la révolution verte. A écouter les tenants de l’industrialisation à tous crins, sans les pesticides, l’humanité courrait à sa perte, souffrant de malnutrition. Amatyra Sen, universitaire de Cambridge, est parti en guerre contre cette assertion en expliquant que « la famine caractérise l’état de certaines personnes n’ayant pas assez de nourriture, et non pas qu’il n’existe pas assez de nourriture ». Ses travaux, endossés par l’ONU et salués par un prix Nobel d’Économie, attestent bien que la faim dans le monde ne relève pas d’un manque de ressources mais d’une inégalité de distribution !
D’autres, encore, ont définitivement remis en question l’argument de vente des pesticides, selon lequel en protégeant et fertilisant chimiquement les fruits et légumes, ils garantissent une meilleure production que l’agriculture biologique classique. De nombreuses études, conduites aux États-Unis mais également en Suisse en 2001, ont en effet prouvé que, sans l’aide de produits chimiques, on parvenait globalement aux mêmes rendements. En 1990, une enquête comparative effectuée sur 205 fermes fit ressortir une différence maximale de 10 % en défaveur de l’agriculture biologique. Une autre, consacrée au soja, affirmait dix ans plus tard qu’un champ non pollué produisait 97 % de la quantité obtenue avec les coûteux ajouts chimiques. Et en juillet 2005, le Rondale Institute a enfoncé définitivement le mythe grâce à un travail étalé sur vingt-deux ans, effectué non pas en laboratoire mais sur des terres exploitées. Conclusion : aucune différence de rendement entre l’agriculture biologique et celle utilisant des pesticides. Plus étonnant encore, en année de sécheresse, les champs « à l’ancienne » fournissent 22 % en plus de fruits et légumes !
David Pimentel, lui, s’est intéressé aux conséquences économiques des pesticides. Comme j’avais tenté de le faire en décortiquant le véritable prix du hamburger à 99 cents, ce chercheur de l’université de Cornell a estimé que le recours à ces substances coûtait chaque année 10 milliards de dollars à la société américaine. La France se classant après les États-Unis et la Chine dans cette consommation chimique, on peut envisager une addition nationale de quelques centaines de millions d’euros. Un autre chiffre mis en avant par Pimentel retient l’attention : tous les ans, pour traiter les victimes humaines de cette dépendance chimique, la société américaine débourse 1,1 milliard de dollars.
Le sujet est éminemment sensible. Aux États-Unis, les associations de consommateurs et les groupes environnementalistes mènent depuis dix ans une guerre de longue haleine contre les géants de l’agriculture. Un combat dont nous, Européens, devons tirer des enseignements. Dans dix ans, comme pour la crise d’obésité, nous devrons à notre tour affronter les mêmes enjeux que les Américains et nous méfier des outils utilisés par les industriels de l’alimentation.
En 2001, le gouvernement français lançait le Plan nutrition national santé (PNNS). Parmi les premières recommandations destinées à lutter contre l’obésité, figurait une consommation accrue des fruits et légumes. Un thème largement développé depuis dans des campagnes publicitaires et auprès des établissements scolaires. La consommation de fruits et légumes est effectivement bénéfique à notre santé. Il est même scientifiquement prouvé que l’incidence des cancers, des maladies cardio-vasculaires, de l’ostéoporose, du diabète et du cholestérol est plus faible lorsque notre alimentation s’avère riche en fruits et légumes.
En 1991, dix ans plus tôt donc, le gouvernement américain lançait, lui, le programme « 5-a-Day » afin d’inciter les citoyens à consommer au moins cinq fruits et légumes par jour. Là encore, l’idée semblait tomber sous le bon sens. Sauf que les producteurs avaient du mal à cacher leur joie : les revues spécialisées donnaient en effet comme conseil aux groupes contrôlant la distribution d’augmenter leur chiffre d’affaires en utilisant notamment le logo de la campagne.
Mais voilà, l’usage massif de pesticides soulève une question qui reste taboue. Partant du principe que la totalité des fruits et légumes vendus en supermarché contiennent des résidus chimiques, faut-il suivre les recommandations de consommation édictées par des organismes officiels ? Aux États-Unis, comme en France ?
Plus que le regret de voir s’enrichir encore un peu plus les compagnies et corporations contrôlant la chaîne alimentaire, c’est l’hypocrisie de ces dernières qui a incité quelques groupes à agir dès janvier 1996. En effet, la toxicité des pesticides est un sujet que ses utilisateurs évitent comme la gale. Et lorsque, contraints, ils se décident à l’aborder, c’est pour détourner la question : « Personne ne s’est jamais retrouvé malade pour avoir consommé des produits frais traités rigoureusement avec les outils de protection des récoltes ».
C’est pour cela que, jouant la carte de la provocation, deux associations ont acheté des espaces publicitaires dans des revues professionnelles de l’industrie. Avec un message comparant le nombre de victimes par armes à feu à celui lié à la consommation de pesticides et au slogan sans ambiguïté : « Plus de gens meurent tués par leur salade ».
Au-delà de la joute verbale, cette campagne a suscité la même levée de boucliers et les mêmes réflexes protectionnistes de lobbying que celles lancées contre l’industrie de la viande. Le secteur a en effet répliqué en exigeant le vote d’une loi « transformant en crime toute critique de la nourriture non basée sur des preuves scientifiques irréfutables ». Comme on l’a vu, il s’agit à nouveau de refroidir les journalistes trop curieux et, surtout, d’étouffer les actions des associations de consommateurs ne disposant quasiment jamais de moyens financiers suffisants pour faire face à des procédures judiciaires. Une position assumée ouvertement par les industriels.
Mais alors, afin de se confronter à l’esprit de cette loi et d’essayer de clore ce débat une bonne fois pour toutes, existe-t-il oui ou non une preuve scientifique irréfutable prouvant que la consommation de fruits et légumes aux pesticides peut être mortelle ?
Le 3 mars 1863, Abraham Lincoln créait par décret présidentiel la National Academy of Sciences (NAS). Depuis, cette société honorifique rassemble l’élite scientifique mondiale, puisque parmi ses 2 000 membres et 350 correspondants étrangers, on compte plus de 200 titulaires de prix Nobel. Difficile donc de faire plus incontestable. Sa mission ? « Enquêter, examiner et expérimenter n’importe quel sujet scientifique » à la requête du gouvernement américain.
En 1987, l’organisme publiait, sous la direction de Richard Wiles, un rapport exhaustif consacré à la présence de pesticides dans la nourriture. Dont le chapitre 3 évaluait précisément, et sur cinquante pages, les risques de cancer liés à la consommation d’aliments produits à l’aide d’herbicides, fongicides, insecticides et autres engrais chimiques. Avec une rigueur toute scientifique, le NAS estimait que 62,5 % des herbicides utilisés en toute légalité par l’agriculture américaine étaient cancérigènes, tout comme 35 à 50 % des insecticides. Et que 90 % des fongicides – oui, 90 % – l’étaient aussi.
Ces chercheurs, analysant scrupuleusement et uniquement les effets quantifiables de la moitié des produits à effets cancérigènes, parvinrent en outre à évaluer précisément le nombre de cancers liés aux pesticides retrouvés dans la nourriture. Chaque année, selon eux, 20 800 Américains* (le chiffre est basé sur la population de 1986. Ramené à celle de 2006, il dépasse 25 000 par an) contractent ce mal. Un chiffre qui, parce qu’il se limite à 53 % des pesticides cancérigènes, constitue en somme un minimum. Le NAS, partant du principe que pour 10 nouveaux cas annuels de cancers, on compte 5 victimes, concluait que plus de 10 000 citoyens décédaient tous les ans, victimes de cette dépendance chimique. Et, pour la première fois, confirmait sans contestation que nous vivons dans un monde toxique.
Le plus étonnant, à la lecture des recherches des scientifiques du NAS, c’est la permanence d’une situation qui, au final, semble ne surprendre personne. Ces chiffres, équivalents à trois « 11-Septembre » par an, confirment une idée déjà dans l’air. Ils nous glacent et inquiètent un temps, puis disparaissent de nos centres d’intérêt et d’attention. Notre refus d’envisager les moindres conséquences sur l’organisme de cette alimentation modifiée s’accompagne d’un laxisme des gouvernements et d’une irresponsabilité civique des fabricants et utilisateurs de pesticides.
On pourrait imaginer que n’importe quelle enquête de cette nature, montrant qu’au moins la moitié des substances autorisées sont cancérigènes, déboucherait sur des interdictions, puis sur une remise en cause de ce système dont les dégâts se chiffrent en milliards ! Eh bien non.
Pourquoi ? Parce que les producteurs de pesticides profitent d’une aberration : la mise sur le marché des produits qu’ils commercialisent est antérieure aux travaux scientifiques attestant leur dangerosité. En outre, selon la loi, ces recherches ne suffisent pas, l’EPA, agence en charge des questions d’environnement devant réévaluer le produit. Un processus long et coûteux pour un organisme miné par les intérêts particuliers.
De fait, le 24 mai 2006, neuf représentants syndicaux s’exprimant au nom des neuf mille employés de l’EPA adressaient un courrier à Stephen Johnson, l’administrateur de l’agence. Sur six pages, leur lettre énumérait les difficultés rencontrées pour arriver à légiférer sur ces substances et disait : « Les préoccupations des industries de l’agriculture et des pesticides passent avant notre responsabilité de protéger nos citoyens. […] L’Agence doit assurer la sécurité sanitaire des enfants et des bébés […] et s’assurer que nos enfants ne soient plus exposés aux pesticides dont l’action peut endommager de manière permanente leur système nerveux et leur cerveaux ».
Sous couvert d’anonymat, les employés de l’EPA se montrèrent même plus directs. Ils mirent ouvertement et directement en cause l’administration Bush, dont les liens avec les industries chimiques sont établis depuis longtemps. Et expliquèrent que l’EPA refusait de prendre en compte les études indépendantes effectuées pourtant par des universitaires de renom parce que préférant se satisfaire de celles fournies… par les industriels.
Ce laxisme a des conséquences sur le reste du monde. Les fabricants utilisent leur présence sur le territoire américain depuis plusieurs décennies pour arguer d’une prétendue non-dangerosité et obtenir des autorisations d’exportation. Lesquelles permettent aux mêmes produits d’empoisonner le sol, les rivières, la faune, la flore, l’air et la nourriture du monde entier. Aussi bien en Afrique, marché émergeant, qu’en Europe où, rappelons-le une fois encore, la France est le troisième pays consommateur de ce type de substances.
En affinant les travaux du NAS, en mesurant, aliment après aliment, le taux de toxines que ceux-ci contiennent, Buck Levin est allé plus loin pour quantifier notre consommation quotidienne de produits toxiques. Du petit déjeuner au dîner, selon ses calculs, nous avalons en moyenne chaque jour cinq résidus différents d’antibiotiques, deux résidus issus de la pétrochimie, un résidu provenant de l’industrie du plastique, un de silicate – l’amiante -, puis un autre sous forme de colorant toxique, cinq issus d’éléments chimiques dont du mercure et de l’arsenic. Sans oublier, justifiant les craintes du NAS, vingt et un résidus différents apportés par les pesticides. Bon appétit.
La suite ….. demain.
Dr BUENOS : Ces données étayent les recommandations faites aux patients du réseau ROSA de consommer le plus possible des fruits et légumes de saison, de proximité, issus de l’agriculture biologique.
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