Extrait de Toxic Food, le livre de William Reymond :
» Je souhaite évoquer un aspect du cancer du sein que, j’en suis certain, beaucoup d’entre vous ignorent.
Mais, rassurez-vous, vous n’êtes pas les seuls puisque les médecins de la victime que je vais évoquer n’en avaient pas entendu parler non plus.
Il aura fallu vingt années, des dizaines de consultations inutiles et, surtout, une volonté de fer pour que, à trente-quatre ans, Dave Lyons apprenne que la grosseur découverte sur le côté droit de sa poitrine était bien un cancer du sein.
Avant d’aller plus loin, il convient d’emblée de préciser à ceux que son prénom fait hésiter, que Dave est bien un homme. Un survivant du cancer, père de deux garçons qui, aujourd’hui, vit avec sa femme Teresa du côté de Portland dans l’Oregon.
Le chemin de croix de Dave débuta à l’adolescence. À treize ans, il signale à son médecin de famille la présence d’une grosseur près de son mamelon. Le docteur le rassure alors, expliquant qu’il s’agit d’un kyste, phénomène normal lié à la puberté. Et précise que l’anomalie disparaîtra naturellement.
Ce qui n’est toujours pas le cas lorsque, en 1986, âgé de vingt-trois ans, il effectue une visite prénuptiale avant d’épouser Teresa. Quand il signale au médecin la présence depuis dix ans de la grosseur, celui-ci lui conseille de ne pas s’inquiéter.
Quatre ans plus tard, alors qu’il vient d’être père pour la première fois, Dave est victime d’un désagrément pénible. Régulièrement, sur son mamelon droit, perlent des gouttelettes de sang.
Évidemment, il retourne consulter. Mais, là encore, on lui explique que c’est un phénomène naturel lié à son kyste et qu’il convient juste de faire preuve de patience.
Un diagnostic que Dave, durant les sept années suivantes vécues au rythme de déménagements et de changements de médecins – pour des raisons d’assurance -, va entendre chaque fois qu’il signale le problème.
Et puis, comme annoncé, les pertes de sang disparaissent, Dave cesse de s’inquiéter.
Jusqu’à un jour de 1997 où, s’amusant à « la bagarre » avec ses deux garçons, l’un d’eux lui frappe accidentellement la poitrine. D’un coup, la douleur est fulgurante. Pire, dit-il qu’un coup de pied reçu dans les testicules.
Cette fois, face – encore – à un médecin rassurant, Dave ne lâche pas. Il veut une ordonnance pour consulter un spécialiste.
Après une mammographie et la décision d’ôter la tumeur mise au jour, on rassure à nouveau Dave. Le chirurgien en est convaincu : la grosseur ne sera pas cancéreuse.
Quelques jours avant Noël, la mauvaise nouvelle tombe : non seulement Dave Lyons est atteint d’un cancer du sein mais la maladie s’étend à l’ensemble des tissus de sa poitrine.
En urgence, le 29 décembre, Dave subit une mastectomie radicale modifiée.
Radicale…
Il n’existe aucune manière d’habiller la formule pour qu’elle sonne mieux.
Radicale…
Cela signifie que le chirurgien ne peut se satis¬faire d’une ablation totale du sein droit et doit retirer les ganglions lymphatiques axillaires ainsi que les tissus recouvrant les muscles pectoraux du quadragénaire.
Pire, pendant cinq ans Dave doit prendre du Tamoxifen alors qu’il souffre des effets secondaires psychologiques liés à ce médicament et a développé un lymphœdème entraînant un gonflement exagéré et douloureux de son bras droit.
Mais pour lui, l’essentiel est ailleurs. Il est vivant, peut voir grandir ses enfants et prouve au monde entier que le cancer du sein touche aussi les hommes.
Même s’il est rare, le cas de Dave Lyons ne relève pas de l’exception. Pour autant, avant de comprendre comment – et pourquoi – les cancers du sein chez les hommes se développent à leur tour, il faut revenir sur la double faillite de notre société que son histoire dévoile.
La première, poussée à l’extrême dans son cas, est celle du corps médical refusant de reconnaître les symptômes d’un cancer attribué d’ordinaire aux femmes. La Fondation John W. Nick, du nom d’une victime moins chanceuse de la maladie, se bat précisément pour attirer l’attention sur cet aspect méconnu. Et rassemble des volontaires ayant connu les mêmes déboires qui offrent de leur temps pour alerter l’opinion. Notamment sur l’importance d’un dépistage précoce.
Si, en moyenne, le taux de survie sur cinq ans est identique pour l’homme et la femme, on constate que le cancer du sein masculin est détecté dix-huit mois plus tard. Un écart énorme qui peut faire la différence entre la vie et la mort. (Les chances de survie à cinq ans d’un cancer du sein détecté précocement sont de 90%. Elles tombent à deux sur dix lorsque la maladie a commencé à s’étendre.)
La seconde faillite tient à la perception collective de ce mal méconnu. Non seulement le cancer du sein est ignoré chez l’homme, mais quand on le met au jour il s’accompagne d’un très fort sentiment de honte chez sa victime. Pensant être atteint d’un mal exclusivement féminin, l’homme malade voit bousculée sa virilité. Et le vit mal. Un sentiment d’exclusion qu’attisent, en outre, certaines femmes.
En 2000, Dave Lyons voulut participer, en famille, à une course à vocation caritative dans les rues de Portland. L’événement, qui se déroulait dans plusieurs villes des États-Unis et rassemblait 33 000 femmes ayant survécu au cancer du sein, avait pour but de montrer que l’on pouvait terrasser le mal, de collecter des fonds et d’offrir une tribune à la cause.
Seulement voilà : ces beaux principes se heurtèrent au mur des sexes. Parce que Dave est un homme, les organisatrices de la course refusèrent son inscription ! Et il lui fallut passer sur les ondes d’une radio locale afin d’évoquer cette étrange discrimination pour les voir revenir sur cette exclusion.
Durant la compétition, David dut affronter la même intransigeance et il fut même pris à parti à plusieurs reprises par des femmes courant à ses côtés. Dans une malsaine déformation de la cause féministe, elles lui reprochèrent de venir voler aux femmes une maladie qui n’appartenait pas aux hommes.
Les habitudes médicales et le regard porté par la collectivité sur les hommes atteints d’un cancer du sein doivent rapidement changer puisque, comme pour l’ensemble des cancers modernes, le nombre de cas progresse.
Certes, en valeur absolue, il demeure rare qu’un homme se voit touché par cette forme de cancer. On estime ainsi qu’elle représente 1 % de la totalité des cancers du sein aux États-Unis. Mais, comme le précise un chirurgien de Portland, les dernières années ont vu une brusque augmentation des opérations de mastectomie radicale modifiée. Entre 1973 et 1998, en données corrigées, le nombre d’Américains victimes a augmenté de 26 %. Une tendance qui s’est accélérée. Si, en 1996, les malades étaient seulement 1 300, quatre ans plus tard, on en comptait 1 600. Mais, en 2007, ils étaient 2 400 et 3 000 aujourd’hui. Autrement dit : en à peine dix ans, le nombre d’hommes malades du cancer du sein a plus que doublé.
En France aussi, la maladie est présente. On estime – les travaux de recherches sont, hélas !, rares – que, chaque année, 250 Français apprennent qu’ils sont touchés par ce cancer. Comme il n’y a aucune raison de penser que la France suit un développement à part, il y a fort à parier qu’on va assister à un accroissement de ce nombre.
Pire. Grâce au site courageux tenu par un ancien malade ou au forum mis en place par France 2 à l’occasion de l’émission Le Cancer sort de l’ombre\ on constate que les victimes rencontrent les mêmes difficultés que celles de leurs homologues américains, les mêmes ostracismes, discriminations et incrédulités médicales. Le mal est donc bien présent.
Il reste à comprendre pourquoi de plus en plus d’hommes sont victimes d’un cancer jusque-là estimé réservé aux femmes.
Je viens de l’écrire, les recherches sur le sujet sont extrêmement rares. Pour autant, quelques données sont analysables. On estime par exemple que 15 à 20 % des cas sont liés à l’hérédité génétique, la mère ou la sœur d’un malade du cancer du sein ayant elle-même développé des métastases. Soit deux malades sur dix. Et les autres alors ?
La réponse apportée est une nouvelle fois la même : les fameux facteurs environnementaux.
Dès lors, pourquoi ne pas appliquer à ce cancer masculin les explications que j’ai avancées pour comprendre la progression de la maladie chez les femmes ?
Dans tous les cas, c’est la piste étudiée par les médecins et chercheurs du MD Anderson Cancer Center de l’université du Texas à Houston. En août 2007, constatant un accroissement du nombre de patients mâles atteints, le centre a conclu que l’« exposition, en perpétuelle augmentation, à la nourriture semblait jouer un rôle ».
La toxic food frappe donc où on ne l’attend pas. Et ce ne sont ni Dave Lyons ni ces hommes victimes d’une « maladie de femme » qui chercheraient à me contredire. »
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