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tickets restaurants

Extrait de Toxic food, le livre de William Reymond qui fait suite àToxic :

« Le 9 avril 2008, Luc Chatel, secrétaire d’État chargé de l’Industrie et de la Consommation et porte-parole du gouvernement Fillon, remettait la Légion d’honneur à l’industriel français Jacques Borel. Un sacré symbole !

À vrai dire, cette récompense ne surprend guère. Car avant de devenir un spécialiste du lobby pro-restauration à l’échelle européenne, Jacques Borel est une success-story à la française.

Né en 1927, diplômé d’HEC, Borel abandonne une carrière prometteuse chez IBM en 1957 afin de se lancer dans la restauration. Mais pas n’importe laquelle. Influencé par les modèles anglais et américain, il souhaite importer en France une nouvelle manière de manger. Son premier établissement, installé à proximité des Champs-Élysées, est un restaurant libre-service. Quant à son nom – L’Auberge Express -, il ne laisse planer aucun doute quant aux intentions de l’homme d’affaires. L’idée de Borel est simple : appliquer certaines méthodes industrielles à la restauration. De fait, dans un autre de ses restaurants, les chaussures de ses serveurs sont équipées de podomètres pour mesurer le parcours à suivre le plus efficace de la cuisine à la salle. Une rentabilisation de l’alimentation en somme.

Dans son discours, Luc Chatel a plutôt pris soin de rappeler que l’heureux bénéficiaire de la médaille officielle avait inventé, en 1967, les tickets- restaurant. Inspiré par cette innovation anglaise, le père du « ticket-repas » avait même obtenu du ministre des Finances de l’époque, Michel Debré, et ce après sept années de négociations, une exonération des charges sociales sur cette trouvaille aujourd’hui largement répandue.

Pour autant, ce bout de papier ne doit pas occulter une autre réalité : Jacques Borel est le créateur des restaurants d’autoroute. À l’époque pompidolienne, les quelques aires de repos maillant le territoire étaient équipées de stations- service, parfois de toilettes, mais jamais de lieux où on servait un repas avec entrée, plat et dessert. En inaugurant son premier établissement « Jacques Borel » sur l’A6 au début de l’été 1969, l’industriel bouscule les habitudes : « Ça a été immédiatement un succès […] jusqu’à 10 clients à la minute, soit 6 000 clients par jour, là où un restaurant avec service à table est limité à 400 couverts», reconnaît-il. Des chiffres qui doubleront lors des périodes de départ en vacances et après l’ouverture de l’autoroute Paris-Lyon- Marseille l’année suivante. Une véritable révolution surtout.

* *

La politique est l’art de l’équilibre.

À un moment, on remet la Légion d’honneur à Jacques Borel ; à un autre, on défend les 80 propositions destinées à lutter contre l’obésité présentées à l’Assemblée nationale.

Un jour, on embrasse le « Napoléon du prêt- à-manger » ; l’autre, on s’alarme du constat que « si rien n’est fait, l’obésité touchera 30 % des Français d’ici à 2020 ».

Car voilà : Jacques Borel n’incarne pas seulement une réussite. Il est aussi, ne lui en déplaise, le père de la malbouffe à la française.

De fait, des décennies avant d’entendre le discours du ministre lui remettant sa médaille, cet homme entreprenant a été un symbole… malgré lui.

L’incarnation du pire de la nourriture industrielle, une alimentation sans goût, sans saveurs, sans tenue. Les preuves ? Elles sont multiples. Et pas seulement parce que, dès 1961, ce monsieur a été le cerveau présidant à l’expérience – ratée – de la chaîne de fast-food Wimpy.

À la fin des années 1970, au moment même où le terme de malbouffe commence à faire le tour des médias, Jacques Borel est si attaqué et son image si négative qu’il doit rebaptiser les enseignes de ses restaurants autoroutiers.

Même les humoristes s’y mettent. Coluche, dans son sketch Le Belge, s’inspire des vers de Jacques Brel sur son célèbre plat pays pour brocarder l’industriel en ces termes : « On s’est arrêté pour manger chez Jacques Borel ; c’est celui qui fait le plat pourri qui est le mien. »

Le ton se fait plus incisif chez Renaud qui, en 1980, chante dans L’Auto-stoppeuse :

On s’est arrêté pour bouffer après Moulins Et Jacques Borel nous a chanté son p’tit refrain Le plat pourri qui est le sien, j’y ai pas touché. Tiens, c’est pas dur, même le clébard a tout gerbé.

Mais c’est au cinéma que les attaques contre le modèle alimentaire proposé par l’industriel se révèlent les plus virulentes. Ainsi, après un film de Gérard Pirès où Claude Brasseur incarne un serveur d’un restaurant autoroutier en proie aux critiques de ses clients (l’agression), c’est Louis de Funès qui sonne la charge derrière la caméra de Claude Zidi. En 1976, il joue en effet Charles Duchemin, critique gastronomique féru de cuisine de qualité, s’opposant à un Tricatel sans morale, dans le mythique « L’Aile ou la cuisse ».

Jacques Tricatel, Jacques Borel… La ressemblance est évidente et même revendiquée par Claude Zidi quand il évoque la naissance du scénario : « Avec des amis, nous avons un jour lancé la conversation sur le guide Michelin et sur la « malbouffe” qui commençait à sévir, raconte-t-il. Ainsi sont nés Duchemin et Tricatel, amalgame entre Borel, l’inventeur des restoroutes, et Ducatel, candidat farfelu à la présidentielle. »

De Coluche à Renaud, de Borel à Tricatel, la malbouffe épinglée par Stella et Joël de Rosnay est donc à l’époque clairement identifiable : la nourriture industrielle.

Hélas ! l’expression va rapidement changer de sens, faussant pour longtemps notre perception du péril. »

La suite …………… demain.

 

 

 

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