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sante des femmes

Par P LACOSTE ….

Haro sur la péridurale, apologie de l’accouchement dans la douleur, vagues de déremboursement des pilules, disparition de la gynécologie médicale, arrêt net du progrès de l’espérance de vie : quelle tempête a donc bien pu s’abattre sur la santé des femmes françaises? Tour d’horizon avec Odile Buisson qui, dans son livre*, Sale temps pour les femmes : futures mères, si vous saviez, tire la sonnette d’alarme et dénonce sans langue de bois et avec beaucoup d’humour la situation de ressac que connaissent les femmes aujourd’hui.

« Ces dernières années ont vu s’établir un climat de plomb, après l’âge d’or de la fin du XXème siècle et ses grands progrès pour la santé des femmes », déclare sans ambages le Dr Odile Buisson, gynécologue obstétricienne (St Germain En Laye) . « La France, après le Japon, est l’un des pays où les femmes vivent le plus longtemps : 85 ans, contre 83 chez les hollandaises et 82 chez les anglaises… L’espérance de vie des hommes étant identique dans ces trois pays (78 ans). Or en France,  il y a eu récemment un infléchissement  de l’espérance de vie des femmes, cela ne manquera pas de se dégrader davantage avec des choix de politique de santé volontairement moins généreux pour elles. » Les indices de mortalité des mères et des nouveaux nés sont devenus médiocres ces dernières années. Elles sont environ 70 par an à perdre la vie en couches et pour la mortalité infantile, la France est passée du 7e au 20e rang. « Nous ne sommes plus très loin des anglais, dont le modèle de santé fondé sur la rentabilité est envié par nos administrateurs de santé « .

La disparition programmée de la gynécologie médicale (on ne forme plus qu’une trentaine de gynécologues par an après avoir arrêté d’en former pendant plusieurs années) fait partie des raisons pour lesquelles l’espérance de vie des françaises est amenée à diminuer : « l’avancement dans la durée de vie est due pour moitié au progrès de suivi médical, le reste étant porté par l’éducation des mères et le progrès social », précise-t-elle.

Mais la qualité de vie des femmes pourrait se détériorer également. Pour prendre un exemple, en France actuellement, 6% de femmes n’ont plus d’utérus alors qu’elles sont 20% en Angleterre et 40% aux Etats-Unis. Le NHS (National Health Service) anglais essaye par tous les moyens de réduire le taux d’hystérectomie mais il n’y parvient pas. Car la gynécologie médicale telle que nous la connaissons en France n’existe pas dans les pays anglo-saxons. Cependant un utérus, c’est précieux, même s’il ne portera plus jamais d’enfant. « Ne plus avoir d’utérus peut entrainer des effets délétères sur la fonction sexuelle en raison de la dénervation de la région pelvienne qu’implique l’hystérectomie ! », explique Odile Buisson. Car au-delà d’un recul  évident de la condition, c’est l’argent qui mène la guerre aux femmes, les cordons de la bourse n’étant que rarement détenus par elles. « Si en France, les assemblées décisionnelles étaient paritaires, certaines lois franchement iniques pour les femmes ne seraient jamais passées. Elles représentent 52% de la population française, elles sont majoritaires dans le pays mais qui les écoute ? Parmi les européennes, les françaises sont celles qui travaillent le plus et qui ont le plus d’enfants. L’Etat français se doit donc de les respecter davantage en tenant compte des difficultés de leur quotidien jointes aux difficultés de leur physiologie particulière. En consultation,  je ne vois que des femmes claquées, ce n’est pas normal. »

 

 

 

Les nouveaux « professionnels de santé »

Le Dr Buisson s’insurge contre les formations express de gynécologie qui ne sont que des cache-misère: « la gynécologie de pointe, qui avait fait ses preuves en France, est en train d’être supprimée au profit de personnes formées en quatre-vingts heures de cours, ne connaissant pas forcément la  médecine. » Elle se dit inquiète que ces nouveaux « professionnels de santé » ne puissent pas apporter la contradiction aux administrateurs de la  santé et se contentent de suivre les consignes. « La présidente du conseil de l’Ordre des sages femmes évoque l’expertise gynécologique des sages-femmes, mais les médecins gynécologues, ils font quoi exactement en 15 ans d’études? Pourtant ce serait bien que les sages-femmes  qui le désirent puissent faire la spécialité de gynécologie médicale. Je ne parle pas de quatre-vingts heures de cours mais de la spécialisation complète en gynécologie avec 4 ans de stage. Elles ont un niveau master, une passerelle devrait être possible. »

« Les  chefs de service sont sous la dépendance totale d’une hyperadministration qui décide ou non de distribuer les crédits dont ils ont besoin. Certains suivent sans même protester le choix de faire des économies sur la santé des femmes. Car malheureusement, il n’y a pas beaucoup de patrons féministes. Par exemple, Israël Nisand en est un. C’est le seul à avoir réussi à diminuer de moitié le taux d’IVG dans sa région grâce au dispositif info ado. Pourquoi ce dispositif n’a-t-il pas été appliqué partout en France alors que le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (Cngof) l’a recommandé en 2010 ? »

Maisons de naissance : menace sur la péridurale

« Je ne partage pas l’idée que la médecine a dévoyé l’accouchement car je ne vois pas pourquoi  les douleurs de l’accouchement ne devraient pas être soulagée à la demande. Sur une échelle de 1 à 10, les douleurs liées à  l’accouchement sont souvent cotées à 12. C’est la seule situation médicale où le soulagement de la douleur est remis en cause. L’accouchement n’est pas une maladie, entend-t-on dire. Oui, mais la mort non plus, et c’est un processus on ne peut plus naturel ! » L’American College of obstetricians and gynecologists remarquait ainsi (1): « il n’existe aucune autre situation clinique où l’on considère acceptable qu’un individu souffre d’une douleur sévère sans traitement, alors qu’il est soigné par un médecin et que des moyens analgésiques sûrs existent pour cette douleur ».  Même l’Ordre des sages-femmes revendique ainsi de remettre « à l’honneur » l’accouchement physiologique. « Le message est clair : il y a un honneur féminin à accoucher en souffrant, à l’opposé du déshonneur de celles qui y auraient renoncé. Les administrateurs surfent sur cette vague car moins de médecine, c’est moins de dépenses. Tout ceci  me fait craindre pour l’avenir… », explique Odile Buisson.

La demande de création de « maisons de naissance » est intéressante pour comprendre ce qui se passe. Il faut avant tout faire la différence entre les maisons de naissance qui sont sous la responsabilité des sages-femmes, où la péridurale est proscrite et les « espaces physiologiques de naissance » des maternités où les sages-femmes dépendent des médecins, où une mère qui accouche peut obtenir une péridurale quand elle la réclame. Raison pour laquelle, dans une maison de naissance, la parturiente doit renoncer définitivement à une éventuelle péridurale, et ce quelle que soit l’intensité de la douleur ? « Si la péridurale était autorisée, toutes les femmes s’y précipiteraient pour les extraordinaires agréments hôteliers de ces maisons (loin du formica décrépi plutôt de mise à l’hôpital)  et l’accompagnement permanent et chaleureux des sages-femmes beaucoup plus nombreuses. C’est le caractère inhumain des usines à bébés ainsi que le manque d’accompagnement qui dégoûtent  les femmes et les poussent vers l’accouchement dit naturel et non l’envie de souffrir. »

Un vent mauvais souffle sur la péridurale. « Je me méfie beaucoup des décideurs qui un jour pourraient ne vouloir la réserver qu’aux cas pathologiques comme en Hollande ! » « Les Néerlandaises sont nombreuses à penser la péridurale inutile, 90% accouchent sans », indiquent ainsi benoîtement les messieurs de la cour des comptes (2) : 820 000 accouchements français par an perfusés, périduralisés, instrumentalisés, césarisés, cela coûte davantage que 820 000 femmes qui serrent les dents sous les draps !  Du côté des femmes, c’est parfois une quête de sens qui les pousse aussi vers les maisons de naissance : « ce siècle est  religieux, on est dans une recherche de sens et de sacralisation de  la douleur ».

« Soigner moins pour soigner mieux » : un adage qui fait de nombreuses victimes

A l’opposé de cette quête de sens, c’est bien de déshumanisation progressive dont souffrent les hôpitaux comme les maternités, soumis à une exigence d’industrialisation de la santé sous pression des administratifs. Un des enjeux ? Diminuer la durée du séjour post accouchement (2,9 milliards de dépenses en obstétriques en 2010). « La cour des comptes, qui se mêle d’interférer avec la médecine, estime donc que 40% des femmes ayant accouché par les voies naturelles et 30% ayant eu une césarienne peuvent rentrer plus tôt à la maison… Avec à la clé un agent administratif – encore un ! – chargé de pousser ces femmes à partir. Seules les femmes privilégiées s’en sortent : celles qui ont un logement, un conjoint engagé, etc. Or le facultatif congé paternité ne soulagera pas ces femmes : pendant leur 11 jours, vont-ils faire davantage et mieux que ce qu’ils font assez peu et mal le reste de l’année ? (3)  » C’est ainsi qu’on voit revenir des pathologies qui avaient disparu telles que l’ictère nucléaire du nouveau-né avec ses séquelles neurologiques et son risque de décès. « Par ailleurs, l’allaitement  au sein est presque devenu une injonction, mais on n’en donne pas les moyens aux femmes  motivées. On les renvoie précocement  au 3ème jour alors que se produit la montée laiteuse ;  comment peuvent-elles réussir leur allaitement  quand elles sont livrées à elles-mêmes ? (85% commencent à allaiter au sein mais 50%  abandonnent). Dans ces grandes maternités, le personnel travaille à flux tendus. A titre de comparaison, dans la maison de naissance voisine, il y a une sage femme pour 50 accouchements annuels alors que dans la maternité c’est une sage femme pour 800!  Sans parler des locaux  qui sont parfois très dégradés…  Forcément que les femmes demandent  parfois à rentrer plus vite ! »

Bioéthique :

« La France est en train de devenir une prison bioéthique et on demande aux médecins de jouer le rôle de maton. Ils menacent et intimident les médecins de quel droit ? », s’insurge Odile Buisson à propos de la lettre de la DGS menaçant de 5 ans de prison et 75000 euros d’amende les gynécologues qui donneraient à leurs patientes des adresses à l’étranger pour obtenir un don d’ovocytes. « Il y a plus de 3 000 femmes qui, désespérées d’attendre en France, ont recours à un don d’ovocytes à l’étranger,  je ne vois pas pourquoi on refuserait d’aider ses femmes.  Bien sûr qu’on continuera à donner des adresses à l’étranger, comme pour les IVG hors délais ! »

 

Mais voici une raison d’espérer, le Cngof a pris le 12 décembre dernier une position rafraichissante, se déclarant favorable à l’autoconservation ovocytaire sociétale, arguments à l’appui : « l’autoconservation de convenance est possible pour les hommes. Il n’y a pas de raison particulière pour que cela ne soit pas autorisé aux femmes. Il ne serait pas admissible, comme la loi le prévoit pourtant, de limiter la possibilité d’autoconservation aux seules femmes qui accepteraient de donner une partie de leurs ovocytes. Un tel chantage nous parait éthiquement inacceptable. »

* Sale temps pour les femmes. Odile Buisson. Éditions Jean-Claude Gawasewitch. Collection coups de gueule. 288 pages. 19,90€

(1) ACGO commitee opinion n°295, juillet 2004.

(2) rapport de la cour des comptes septembre 2011. Le rôle des sages femmes dans le système de soin.

(3) sources : observatoire de la parité et N Séjourné et al. Effets du congé de paternité sur la dépression du post partum maternel. Gynécologie Obstétrique et Fertilité, 2012 ; 40 : 360-4.

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