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Extrait du livre de Denis DOUCET, « le principe du petit pingouin » :

Cette histoire, je l’ai entendue tellement souvent dans mon cabinet de consultation que je la connais par cœur. Le plus déplorable, c’est que ces Little Boy qui viennent me voir dans mon bureau sont à peu près tous convaincus qu’ils souffrent d’un problème d’adaptation.

Selon moi, la plupart ne souffrent pas d’un trouble d’adaptation, terme qui sous-entend « ne pas savoir s’adapter», mais plutôt du syndrome de la suradaptation, terme qui implique à mes yeux un effort excessif pour s’adapter aux conditions ou aux attentes de l’environnement.

Se suradapter est devenu une stratégie psychologique de survie très répandue dans nos sociétés modernes. L’idée, c’est de surmultiplier les essais adaptatifs sans relâche, dans le vain espoir de trouver un répit un jour. Seulement, ce jour ne se présente jamais.

Ainsi, c’est en agissant à l’encontre de leur propre nature que ces gens finissent par éprouver un déséquilibre dans leur vie, laquelle devient petit à petit infernale, la plupart du temps de manière insidieuse. Cela peut se manifester par des symptômes, par des malaises, par une perte de sens, par de la démotivation, par une baisse d’énergie, par une panne sexuelle, par de l’anxiété, par des phobies ou par toute autre chose.

Ne vous leurrez pas ! Il ne suffit pas de bien se nourrir et de faire de l’exercice physique combiné à de bonnes nuits de sommeil pour que tout aille bien dans votre vie ! Votre vitalité repose énormément sur vos satisfactions profondes. Vous pouvez vous mentir quelque temps et nier cette loi, mais elle vous rattrapera tôt ou tard, comme elle l’a fait d’ailleurs pour des milliers et des milliers de personnes dont la vie ressemble à celle de ce pauvre Little Boy, désemparé sous l’emprise de Big Mouth.

Combien de personnes peuvent se vanter de vraiment éprouver une pleine joie de vivre ? Pas beaucoup de nos jours. Oui, tout le monde fonctionne, c’est-à-dire parvient à faire son boulot, payer ses factures, sortir ses poubelles, afficher un sourire de deux secondes en croisant une connaissance au centre commercial et, pour les plus chanceux, aller passer deux semaines par année vers des destinations soleil. Cependant, ces gens sont-ils véritablement heureux, ou miment-ils plutôt une mascarade dans laquelle tout le monde joue le rôle du gars heureux dans une pièce de théâtre dont les représentations quotidiennes ne cessent de ressembler à celles de la veille ?

Dans mon travail, je suis frappé par le fait que la question qui horripile le plus les personnes en congé de maladie pour raison émotionnelle est le fameux « Comment ça va ? ». Et vous savez pourquoi? Parce que lorsqu’on se retrouve dans une période de vie fragilisée, on n’arrive pas à se donner ce que j’appelle de la contenance devant les gens, cette sorte de masque que les bien-portants parviennent à maintenir sans trop de difficulté, parfois en pleine connaissance de cause, parfois non.

Inadaptés ou suradaptés ? Voilà une bonne question. Les gens qui n’arrivent plus à être bien dans leur travail, leur couple, leur ville, leur spiritualité, leur culture familiale, leurs habitudes manquent-ils de quelque chose ? Ont- ils perdu leur capacité d’adaptation ? Sont-ils malades ? Doit-on leur accoler un diagnostic, les étiquetant comme incapables de s’adapter, de savoir composer avec leur environnement ?

Pour la plupart d’entre eux, je ne le crois pas.

Ils souffrent d’un autre mal que l’on soupçonne tous, mais dont on n’ose pas parler à voix haute. En fait, ils se suradaptent à leur entourage… passé, présent ou futur. Ils font des efforts surhumains pour ressembler à ce travailleur idéal dont rêve le patron, à cette image de femme idéale dont rêve le mari, à celle du fils idéal dont rêvent les parents, à ce partenaire sexuel idéal dont parlent les articles dans les magazines, à cet étudiant idéal auquel s’attend le professeur, à ce chic type idéal que souhaitent les amis, et j’en passe.

Jacques Languirand, animateur radio à Radio-Canada et auteur d’un livre sur le burnout, disait ceci : « Il est de plus en plus clair que les névroses modernes qui accompagnent les troubles psychosomatiques sont le fruit de la suradaptation à une société malade. »

Yugiro Ikemi, médecin japonais, explique, dans son livre « Zen et self-control : des thérapies nouvelles à la méditation », que «[…] de nombreux étudiants ne prennent pas le temps de s’interroger sur ce qu’ils sont ou veulent accomplir, sur les raisons de leurs études ou du sens de la vie, et s’absorbent dans la préparation au concours d’entrée des grandes universités, soutenus en cela par leurs parents et leurs maîtres souvent animés par des motivations superficielles. C’est sans doute pourquoi les psychologues scolaires font remarquer que la caractéristique première des élèves d’aujourd’hui est l’apathie. […] Cela les amène à perdre de leur authenticité, attitude caractérisée par un déclin de la sensibilité, de l’intérêt et de la vigueur ».

Fritz Péris, fondateur de la gestalt-thérapie, estime pour sa part que nos contemporains adoptent en permanence un rôle social, au grand dam de la conscience créatrice et des possibilités d’actualisation de soi. Dès que vous jouez un personnage, vous avez adopté un système rigide. Votre comportement est pétrifié, prévisible, vous avez perdu la capacité d’affronter le monde librement et armé de toutes vos ressources. Vous êtes condamné à l’avance à aborder les événements toujours de la même manière. Péris considérait que les pathologies modernes proviennent en grande partie de la rupture en soi entre le corps et le verbal, entre les sentiments vécus et nos comportements. Assez près de ce que Big Mouth peut parvenir à faire de votre vie, selon moi.

Autre point de vue, celui de Jean-Léon Beauvois, professeur de psychologie à l’université de Grenoble : « Nous percevons d’autant moins les normes qui nous gouvernent qu’elles occupent une place importante dans notre vision du monde. Plus c’est important, moins on en est conscient. Nos sociétés démocratiques ne facilitent pas la clairvoyance. Elles donnent l’impression que l’on croit ce que l’on croit parce que c’est vrai, plutôt que parce que c’est ce qu’il faut croire. »

Toujours dans la thématique de la suradaptation, et de façon plus pragmatique, j’ai reçu un jour un employé qui devait effectuer un travail qui était fait par six personnes à peine un an plus tôt. J’ai reçu une jeune fille de seize ans qui, ne ressemblant pas à celle dont les parents divorcés avaient rêvé, pleurait à chaudes larmes de peine et de colère dans mon bureau, n’attendant que ses dix-huit ans pour quitter la maison. J’ai reçu une femme que son mari avait quittée parce qu’elle refusait certains actes sexuels avec des animaux. J’ai reçu une jeune athlète âgée de treize ans, récemment devenue obsessionnelle et anorexique à la suite des attentes démesurées qu’elle sentait de la part de ses parents et de son entraîneur. J’ai reçu une travailleuse ayant subi quatre années de harcèlement à son travail et qu’on a obligée à retourner travailler en équipe… avec son harceleur. J’ai reçu des travailleurs que l’on menaçait de sanctions s’ils refusaient de rentrer travailler après douze ou seize heures de travail, avec seulement quatre heures de repos entre deux quarts de travail. J’ai reçu une vieille dame qui se faisait maltraiter par ses propres enfants, lesquels lui volaient son argent et la privaient de façon scandaleuse. J’ai reçu des femmes et des hommes dans la quarantaine qui se faisaient manipuler et subissaient des demandes excessives et culpabilisantes de la part de leurs propres parents âgés. J’ai reçu des chefs de service à qui certains membres de leur équipe de travail manquaient de respect à répétition, face à quoi la direction générale ne réagissait pas, exigeant qu’ils ferment les yeux chaque fois. J’ai reçu des gens qui se sont fait arnaquer financièrement par de beaux parleurs.

J’arrête ici la liste, mais je pourrais aisément vous en écrire des pages et des pages. Vous aussi, j’en suis certain, avez eu connaissance directement ou avez déjà entendu des récits du même genre.

L’idée à retenir, c’est que la plupart du temps, quand un humain tombe en panne, c’est qu’il fait face à des attentes, explicites ou non, qui dépassent ce qu’il peut normalement affronter pendant une trop longue période de temps, ou avec une intensité telle qu’il ne peut y répondre malgré des efforts extraordinaires. Parfois, ces attentes sont immédiates et identifiables dans son environnement actuel, parfois elles ont été internalisées au cours du passé, parfois elles appartiennent au futur, c’est-à-dire qu’il s’agit de ce que la personne anticipe. Le résultat est le même. Se sentant incapable de tenir le coup plus longtemps, le système nerveux se met à se dérégler. Le premier réflexe est de s’acharner encore plus pour répondre à toutes ces attentes extérieures à soi. Puis, les malaises se multiplient, l’inconfort agace, l’individu craque.

Le plus grave, c’est qu’il se sent coupable. Coupable de ne pas pouvoir y arriver ou de ne pas pouvoir passer par-dessus tel ou tel événement en faisant comme si de rien n’était. Souvent, l’entourage aggrave la situation en lui faisant sentir que « ce n’est pas si terrible que ça » ou qu’« il est temps qu’il passe à autre chose»… Belle affaire! C’est comme si quelqu’un avait un clou planté dans le pied et que, comme seule réponse, on lui disait : « T’as pas pensé à changer de chaussures pour moins sentir le clou ? »

Et il y a complicité collective, en commençant par le milieu médical, qui va vous flanquer un diagnostic de maladie mentale sur le dos dès les premiers signes de plaintes psychologiques. Donc, il va vous adresser implicitement le message suivant : « C’est vous, le problème. Vous n’avez pas ce qu’il faut pour vous adapter apparemment. Vous souffrez sans doute d’une faiblesse congénitale du système nerveux. » Sans plus d’explications.

Vous voilà bien avancé. Tout le monde autour pense que vous avez craqué parce qu’il y a quelque chose que vous avez fait de travers, quelque chose qui ne tourne pas rond en vous, quelque chose qui a flanché dans votre mécanique interne.

Il faut bien se le dire, notre société moderne entretient une vision très mécaniste des humains, d’où notre propension à vouloir recourir à des pièces de rechange – on appelle ça des médicaments, en fait – qui sont supposées suppléer à vos pièces défectueuses. Ne vous méprenez pas, je ne suis pas contre les médicaments. Je m’inquiète cependant de leur prolifération extraordinaire, dont le principal effet est de permettre aux patients de continuer à tolérer l’intolérable, en servant en premier lieu les intérêts d’une industrie pharmaceutique qui vend du rêve en capsules.

Et hop ! Quelques semaines, tout au plus quelques mois plus tard, on vous retournera exactement dans le même milieu, la même situation qu’avant votre effondrement… Au suivant !

Je vous cite ici le résultat d’un sondage sur le bonheur qui a été dévoilé à la télé récemment. On demandait aux gens ce qui faisait le plus obstacle à leur bonheur. Le premier élément rapporté par les répondants : les problèmes de santé ; le deuxième : le manque de temps ; et le troisième : le manque d’argent.

C’est intéressant, car cela reflète à mes yeux cette intuition que la suradaptation devient endémique, d’où les inquiétudes sur la santé qui se multiplient. Qu’on ait répondu le manque de temps ne peut nous étonner, étant donné le rythme effréné avec lequel les gens mènent leur vie pour tenter en vain de s’adapter à tout. D’ailleurs, les deux tiers de ce après quoi ils courent ne leur sert souvent à rien. Finalement, les plaintes formulées à propos du manque d’argent sont attribuables, dans le cas de la classe moyenne du moins, à des dépenses excessives engagées pour la plupart d’entre eux dans le seul but de ressembler à leurs voisins, d’imiter les très riches ou de se procurer des compensations dérisoires, signe que leur vie ne tient plus qu’à un fil… sur le plan humain, je veux dire.

Tout cela me donne la nausée, mais ne nous décourageons pas. Il y a moyen de faire mieux. Cependant, vous devez comprendre quelques notions générales qui vous aideront à mieux saisir et, surtout, à mieux voir venir les dangers qui vous guettent à trop vous suradapter.

Dommage que Little Boy n’ait pas lu ce livre avant sa rencontre avec Big Mouth. Il se serait épargné bien des souffrances !

La suite (de ce passionnant raisonnement) ……….Demain.

 

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