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tomate et hangars réfrigérés

Extrait de Toxic, le livre de William REYMOND :

« Je me souviens avoir lu une interview intéressante de John Mellecamp. Le chanteur originaire de l’Indiana, depuis de longues années défenseur de l’agriculture traditionnelle américaine, soutient les petits fermiers contre les puissantes sociétés de l’agroalimentaire. Et si j’ai oublié l’essentiel des propos tenus, une partie de l’article m’est revenue en mémoire alors que j’avançais dans mon enquête. Mellecamp, évoquant les excès de la révolution verte, expliquait qu’il avait compris que la situation était grave lorsque les étals de fruits et légumes s’étaient mis à ressembler à des rayons de jouets. Jamais, précisait-il, la forme des tomates n’avait été aussi parfaite et leur couleur aussi rouge.

J’avais entamé ce voyage au pays de l’obésité en constatant que ce que j’observais en Amérique se reproduisait en Europe. En cherchant les raisons de cette exportation de la pandémie, j’étais remonté à son origine pour finalement comprendre que l’obésité était la conséquence d’un drame et non sa cause. Qu’elle relevait des changements profonds et radicaux de notre alimentation. Comprendre le vrai prix du hamburger à 99 cents avait donc été une nécessité. Et là, en songeant à John Mellecamp, la prochaine étape me semblait évidente : comprendre pourquoi nos tomates ressemblaient désormais à des jouets parfaits.

Finalement, j’avais été naïf. Ou, plus simplement, une telle question ne m’avait jamais traversé l’esprit. Originaire d’un département relativement agricole où chacun- ou presque – cultive encore son coin de potager, j’avais une vision assez simple de la chaîne alimentaire. Résultat, suivre le parcours de la viande dans les méandres de l’agrobusiness m’était déjà apparu comme une révélation. Celui de la tomate se montra plus étonnant encore.

La culture des fruits et légumes est une grande consommatrice de pesticides, herbicides et fongicides. La règle est globalement basique : plus un produit est proche du sol, plus il est traité. Et lorsqu’il n’a pas de protection naturelle, il exige encore plus d’attention. La fraise, par exemple, est l’un des fruits qui reçoit la plus grosse quantité de produits chimiques. En comparaison, un chou, protégé par plusieurs couches de feuilles, en absorbe beaucoup moins. Le problème devient plus préoccupant encore pour notre santé lorsqu’il s’agit d’un fruit ou d’un légume doté d’une peau que nous consommons. Cette dernière, source importante de bienfaits nutritionnels, conserve en effet les pesticides, même après lavage.

Si l’on suit ces règles, on constate que la tomate figure à la fois dans les trois catégories : celle des fruits près du sol, sans protection et à peau ! Donc parmi les plus exposés aux pesticides.

Avant de me pencher sur cette question, je croyais connaître le processus de culture des tomates. Il était question d’arrosage, de soleil, d’engrais sûrement, puis de cueillette. Les tomates passaient ensuite chez un grossiste avant de terminer dans les réseaux de distribution. Évidemment, la réalité est bien plus complexe. À l’échelle industrielle, bien souvent, cette culture dépend d’abord grandement des fertilisants. Des engrais minéraux produits par l’industrie chimique.

Ainsi, elle est la première consommatrice de sulfate de potassium, lequel est couplé avec du chlorure et du nitrate. Aux États-Unis, les producteurs de tomates utilisent en moyenne 185 kg de ce mélange par acre, quand le maïs en consomme « seulement » 25 kg à surface égale. La tomate est également gourmande en phosphore, apporté sous forme de phosphates d’ammonium ou de calcium. Cultivée industriellement, elle en consomme 80 kg par acre. Un chiffre qui la place au quatrième rang parmi les produits nécessitant le plus de phosphore. Pour l’azote, elle arrive au treizième rang. Ce composé est apporté par l’intermédiaire d’un cocktail contenant aussi de l’ammoniaque, du nitrate ou de l’urée. Alors que la culture du maïs – dont les effets nocifs sont visibles dans la zone morte au sud des côtes de la Louisiane – exige 58 kg par acre de cette mixture, la tomate, elle, se montre plus « gourmande » avec 74 kg.

Ces différents engrais sont répandus avant la plantation, comme fertilisants mélangés à la terre, puis lors de la « fertigation ». Ce barbarisme, combinaison des mots fertilisant et irrigation, résume bien la technique : via des systèmes de régulation est libéré, à intervalles réguliers, un mélange d’eau et d’engrais.

Évidemment, tout cela ne manque pas d’effets négatifs sur l’environnement et la santé, puisque ces procédés appauvrissent les sols en détruisant l’humus et toute activité biologique.

Si les nitrates et l’azote ont une toxicité avérée, le risque majeur de tous ces produits reste la pollution de l’eau et, à terme, des nappes phréatiques. Quant à la tomate elle-même, elle absorbe une partie de tous ces composants chimiques. Au bout de la chaîne, nous y sommes aussi exposés.

La culture industrielle de ce fruit utilise en outre une forte quantité d’herbicides. Les producteurs de Floride ont par exemple recours à quatorze produits utilisés en amont de la plantation puis à mesure de la croissance de la plante, en pulvérisation.

Même chose pour les insecticides. À titre d’exemple, il faut savoir qu’en 1997, les producteurs de tomates californiens ont vaporisé 133 000 kg de 22 produits différents.

Enfin, l’industrie de la tomate est la plus grande consommatrice de fongicides, ces produits phytosanitaires conçus pour tuer toute forme de champignons menaçant la croissance d’une plante. La tomate étant particulièrement exposée à ce risque, on la « protège » de façon massive. En Californie, les producteurs utilisent presque 4 millions de litres de ces mixtures essentiellement composées de soufre et de cuivre, donc nocives.

Mais les – mauvaises – surprises ne s’arrêtent pas là.

Les pieds de tomate entament leur croissance sous des bâches synthétiques. En soi, cette technique est compréhensible et rappelle les serres d’autrefois. Mais le vrai problème, c’est qu’une fois inutiles, ces morceaux de plastique sont laissés à l’abandon dans les sillons. Où ils s’abîment en libérant des constituants chimiques dans le sol où poussent… les tomates.

La cueillette constitue un autre sujet d’étonnement. Mécanique lorsqu’il s’agit de récolter pour fabriquer les sauces, jus et autres ketchups, elle est encore manuelle pour les tomates fraîches. Néanmoins, les pratiques industrielles ont changé les habitudes. Le fruit n’est plus cueilli lorsqu’il est mûr – sa vie sur les étals de supermarchés serait trop courte -, mais vert. Puis entreposé dans des hangars réfrigérés, dont la température ne dépasse pas une dizaine de degrés. Le but ? Ralentir le processus de maturation et repousser d’environ deux semaines la date limite de consommation.

D’aucuns diront que tout cela, on le sait. Peut-être. Mais la suite des traitements est bien plus grave… et bien moins connue.

Afin de débarrasser les tomates d’éventuels germes, on les trempe dans un bain de chlore. Même si l’immersion se limite à deux minutes, le fruit absorbe une partie du liquide. Surtout si sa surface présente des « blessures » permettant une infiltration.

Vient ensuite le temps du stockage en chambre de maturation durant deux à trois jours. C’est dans cette atmosphère saturée de gaz d’éthylène que ce fruit – comme beaucoup d’autres – prend ses couleurs. Certes, l’éthylène est un gaz naturel produit par les plantes. Mais son emploi à grande échelle pour colorer des végétaux ne manque pas d’effets indésirables, dont l’augmentation de l’amertume de la carotte et de la fibrosité de l’asperge. Par ailleurs, il est recommandé de ne pas dépasser les 72 heures de maturation sous peine de voir se développer des champignons. Or cette précaution est souvent ignorée, parce qu’il faut rendre présentables des fruits cueillis de plus en plus tôt, donc de plus en plus verts.

Débute ensuite la phase « cosmétique » du processus. Afin d’améliorer l’allure de la tomate, de la rendre plus « appétissante », on la traite au colorant artificiel. L’orange, cueillie également verte, est victime du même régime. Avant de la commercialiser, on injecte en effet dans sa peau un colorant assurant une couleur uniforme qui correspond à l’imaginaire du consommateur.

Forcément, le procédé étonne. Mais, à en croire les distributeurs de fruits et légumes, tout cela est normal. Aussi, lorsque j’ai fait part de ma surprise à un responsable de la filière, sa réponse a été la même que celle d’autres confrères :

— C’est vieux comme le monde. Les Égyptiens coloraient déjà leur vin !

Le plus amusant est qu’il s’agit précisément de l’argument mis en avant par la FDA pour justifier l’usage de ces colorants artificiels. Autre point commun à ces différents gardiens d’une certaine « tradition », un ton méprisant, celui que l’on réserve à l’ignorant.

Mais, mea culpa, tomate verte, hangar réfrigéré, bain au chlore, chambre de maturation, colorant artificiel, voilà qui est bien loin de l’idée que je me faisais de la production des fruits et légumes. Désormais, le rythme des saisons et le taux d’ensoleillement semblent être devenus des concepts pour le moins obsolètes.

Avant d’atterrir dans nos assiettes, et même d’être mises en vente, les tomates industriellement cultivées doivent subir une autre transformation : le paraffinage. En clair, il s’agit de l’application d’une cire sur un fruit ou un légume, étape qui permet de « rehausser leur apparence et de favoriser leur rétention en eau lors de la mise en marché ». Donc d’augmenter sa valeur, puisqu’une tomate d’apparence parfaite se vend mieux. Empêcher l’évaporation d’eau lors de la mise en étal évite aussi les « rides » et permet de conserver la masse du fruit le plus longtemps possible. La tomate n’est-elle pas achetée au poids ?

Donc, la tomate, comme « les carottes, les betteraves, les concombres [est traitée] à la paraffine en émulsion froide, au pinceau ou par pulvérisation ». L’ennui, c’est que ces cires sont désormais dénoncées par certains chercheurs. Ainsi, Buck Levin, professeur à l’université de Kennmore, les classe comme faisant partie des toxines qui polluent notre alimentation. Et remarque que certaines sont dérivées du pétrole tandis que d’autres contiennent des savons pour les adoucir.

Le parcours d’une tomate cultivée selon les méthodes dites modernes est ahurissant, écœurant même mais, hélas, pas exceptionnel. Du recours massif aux produits chimiques pour favoriser et accélérer sa croissance aux nombreux « trucs » utilisés lors du conditionnement, elle partage le même sort que la grande majorité des fruits et légumes. Je ne cherche pas à titiller la fibre de la nostalgie en décrivant ce processus mais à montrer combien cette évolution est l’une des conséquences de la révolution alimentaire des trente dernières années. Un effet collatéral identique à celui frappant l’industrie de la viande. Or, n’ayons pas peur de le dire, en exigeant des produits à bas prix tout au long de l’année, nous avons notre part de responsabilité dans cette dérive. Certes, comme les tomates dans l’eau chlorée, nous baignons souvent dans l’ignorance. Une méconnaissance fatale à l’étude des risques liés à la « consommation » de pesticides.

La suite ….. demain

 

 

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