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neuromarketing
Extrait de Toxic, le livre passionnant de William Reymond :
« L’université d’Emory n’a pas changé depuis ma précédente visite. C’était en mars 2005 et j’écrivais alors « qu’ici plus qu’ailleurs, Coca-Cola est partout. […] Ici, l’histoire de Coca-Cola est inscrite dans les murs. ».
Mais ce ne sont pas les archives de Robert Woodruff, le mythique patron de la Compagnie, qui m’attirent cette fois sur ce campus situé à une quinzaine de minutes d’Atlanta. Il ne s’agit plus de voyage dans le passé. Car ici, depuis 2001, se dessine discrètement le futur de la publicité. Et cet avenir-là est effrayant.
Joey Reiman et Brian Harkin sont deux vétérans de la publicité. Le premier, à la tête de l’agence BrightHouse, invente des spots depuis plus de vingt ans. L’autre, après un passage sur l’Internet, est un spécialiste de la valorisation des marques, le « branding ». En 2001, Brian Harkin est même devenu président d’une branche de BrightHouse appelée Thought Science, « la science de la pensée ».
À Atlanta, la compagnie a deux adresses. La première se situe à l’ouest de la ville, dans une ancienne usine à savon devenue une suite de bureaux branchés. L’autre, moins connue, à Emory. Plus précisément à l’école de médecine, incorporée au sein de l’hôpital universitaire.
Là, BrightHouse est en train de se transformer en discret leader du neuro-marketing. L’idée est d’une simplicité déconcertante : il s’agit de placer des volontaires dans un scanner et d’observer les réactions de leurs cerveaux lorsqu’on les soumet à certains stimuli. Le but a de quoi surprendre. Selon les responsables du programme cités dans un article de The Atlanta Journal- Constitution, il s’agit de « donner aux consommateurs le pouvoir d’influencer les compagnies ».
Qu’est-ce que cela signifie précisément ? Je n’en sais pas plus que vous. D’autant que, poursuivant dans un langage abstrait, ils ajoutent : « Nous non plus, nous n’en pouvons plus de la saturation de la publicité ».
Voilà qui laisse sceptique… Mais Joe Reiman et Brian Harkin ne s’arrêtent pas là. Le premier offre en effet une autre explication lumineuse : « Nous essayons de comprendre ce qui fait réagir les gens. […] Est-ce que je porte ces pantalons parce qu’ils me vont ou parce qu’ils vont avec la vie que je mène ? » Toujours pas clair ? Qu’à cela ne tienne. Brian Harkin assène un argument massue : « Nos méthodes pourraient permettre de comprendre pourquoi les campagnes antidrogue ne fonctionnent pas auprès de notre jeunesse ».
Défense du consommateur, port du pantalon, campagne de prévention… voilà qui paraît bien embrouillé. Et le pire, c’est que c’est normal. Car les responsables de BrightHouse le sont aussi. Du moins publiquement. Mais pourrait-il en être autrement quand on réalise que leur travail consiste à trouver quelle émotion cérébrale se transforme en intention d’achat ? Le neuro-marketing consiste ni plus ni moins à dénicher, enfoui dans le cerveau, l’emplacement du fameux bouton qui indique « achète-moi » pour parvenir à l’actionner à notre insu. Une démarche délicate à assumer au grand jour.
De la science-fiction que tout cela ? De l’activisme anti- consumériste ? Même pas. Le 3 juin 2002, avant de changer de nom et de le faire disparaître de son site Internet, Thought Science publiait un communiqué de presse triomphant. Dont le contenu, que j’ai pu me procurer, est bien plus limpide et éclairant que les propos confus du président de la compagnie. En voici quelques extraits choisis…
« Pour la première fois, il sera possible aux agences publicitaires de comprendre les raisons dictant le comportement de leurs consommateurs. Imaginez que vous pouvez observer et quantifier la véritable réponse d’un consommateur [face à un nouveau produit]. […] Le neuro-marketing est la vague du futur. Les compagnies utilisent la science pour prendre l’avantage. Celles qui se refusent à le faire seront laissées en arrière. […] Pour la première fois, nous fournirons à nos clients les raisons qui poussent le consommateur à agir. »
C’est tout de suite plus clair, n’est-ce pas ?
Mais le meilleur reste pour la fin : « Le neuro-marketing permet d’avoir une vue de ce qui se produit dans les pensées du consommateur. Et, à terme, permettra d’augmenter les ventes des produits, la préférence pour une marque ou encore de s’assurer que le consommateur agit de la manière dont on souhaite qu’il agisse ».
S’assurer que le consommateur, vous et moi donc, se comporte comme les agences de publicité et leurs clients l’auront décidé, voilà donc, dans toute sa crudité, ce que l’on concocte dans les salles de recherche de l’université d’Emory. Jouant aux apprentis sorciers, des scientifiques dont l’âme est clairement du côté des affaires tentent de percer les secrets du cerveau afin de nous forcer la main.
L’utilisation de matériel médical dans un tel but pose des questions d’éthique. Pourtant, la direction d’Emory refuse de s’en offusquer. Le discours officiel résonne des mêmes excuses hasardeuses avancées par BrightHouse.
Il est dans un premier temps question d’avancée scientifique, de publications à venir. Pour finalement convenir, presque blasé, de la réalité : « Il est évident que si vous parvenez à comprendre comment les gens prennent les décisions, vous allez utiliser ce savoir à des fins commerciales. Je ne vois rien de condamnable à cela ».
La position d’Emory n’est pas réellement une surprise lorsque l’on connaît les liens des universités américaines avec le monde des affaires : de fait, aux États-Unis, la recherche est essentiellement financée par des dons privés. En plus du prêt de ses locaux et des IRM à résonance magnétique, l’université d’Emory s’est directement associée au projet de BrightHouse. Ainsi, l’organigramme de la compagnie révèle que Clinton Kilts est responsable de l’ensemble de la partie scientifique. Lequel Kilts est également professeur à Emory, où il dirige le département de recherche en psychiatrie et en sciences du comportement. Sa spécialité ? Les mécanismes cérébraux de l’addiction. Simple hasard ?
Quoi qu’il en soit, cette information est une fois encore inquiétante. Car, si l’on récapitule, on constate qu’au sein d’une des plus prestigieuses universités américaines, une compagnie privée tente d’élucider et de briser les mécanismes du cerveau pour arriver à influer sur les impulsions d’achat. Et aussi qu’à la tête de ce programme figure un scientifique dont la spécialité est l’addiction. La vérité dépasse toujours la fiction.
Reste à savoir si les expériences conduites par BrightHouse ont été couronnées de succès et quelle peut être alors leur utilisation commerciale. Ce questionnement a de quoi faire frémir quant à l’évolution de la pandémie d’obésité.
Officiellement, le cerveau n’est pas aussi simple que d’aucuns le prétendent. « Ce n’est pas comme si les consommateurs allaient se mettre à courir comme des automates pour acheter un produit, et ce quelle que soit la manière dont ils pensent », explique Justine Meaux. Scientifique travaillant pour BrightHouse, elle se veut rassurante tout en admettant, lors de conférences, l’avancée du projet.
En fait, selon différentes sources proches des recherches, BrightHouse aurait fait des progrès considérables depuis 2004. Des séries de tests ont permis d’identifier l’emplacement du cortex qui réagit à la vue d’un produit ou à l’évocation d’un sentiment. Pour aboutir à ces conclusions, les scientifiques d’Emory ont toujours pratiqué de la même manière. Un volontaire, payé une cinquantaine de dollars, s’est glissé pendant une demi-heure dans une IRM (imagerie par résonnance magnétique). Là, il a été soumis à une série d’images. Et, pendant ce temps, les réactions de son cerveau ont été enregistrées.
La découverte de la zone censée renfermer le fameux « interrupteur » poussant à l’achat est de taille. Mieux, elle est confirmée par une étude indépendante et parallèle menée cette fois à l’université Baylor de Houston. Dans ce laboratoire, une équipe menée par Read Montague a mis au jour les mécanismes incitant un consommateur à préférer un… Coca-Cola plutôt qu’un Pepsi.
Si, à l’aveugle, le goût plus sucré de Pepsi-Cola l’emporte fréquemment, l’identification du soda comme étant un Coke déclenche une forte activité sur le cortex. Et finalement, l’emportant sur le goût, pousse à l’achat. Montague en est convaincu, la préférence pour Coke est d’abord liée à son image positive, ancrée dans les inconscients par cent vingt ans de publicité. Ce qui confirme, comme je l’écrivais dans mon précédent livre, qu’il s’agit bien là du premier capital de la marque. Ce qui, on s’en doute, devrait faire que Coca-Cola soit l’un des premiers intéressés par les travaux menés à Emory. Mais est-ce le cas ?
D’emblée on pourrait pointer quelques coïncidences. Déjà, Atlanta et Emory sont deux bastions de Coca-Cola. Mais ce n’est pas tout. Prenez Brian Harkin, par exemple. Le président du projet BrightHouse Thought Science, spécialiste du branding, a une histoire en commun avec la Compagnie. Il a en effet travaillé en son sein au développement de nouvelles marques. C’est lui qui a, entre autres, géré l’extension des labels Mello Yello et Barqs, deux produits de The Coca-Cola Company. Mieux, comme l’indiquait une biographie qui a malencontreusement disparu du site Internet de Thought Science, Harkin a développé « le positionnement de la marque, de la formule et du design […] de Dasani », l’eau minérale en bouteille commercialisée par Coke.
Autre donnée intéressante, le témoignage de Peter Graser, l’un des cobayes ayant accepté de se glisser dans un scanner pour une trentaine de minutes. Il a raconté que parmi les images observées se trouvaient « Madonna, du brocoli, des sushis, un chien, Bill Clinton et Coca-Cola ».
BrightHouse ne souhaite évidemment pas confirmer si Coca-Cola figure parmi ses clients, mais de solides indices le laissent présager. Au-delà de ses recherches en neuro-marketing, la société mène par exemple des activités plus classiques d’agence de publicité. Or, parmi la clientèle dont elle assure la promotion, à côté d’entreprises comme Home Depot, une enseigne de bricolage et de décoration, ou Pepperidge Farm, un fabricant de biscuits, on retrouve… Coca-Cola.
Faut-il poursuivre la litanie des points en commun ou des zones de rapprochement ? Oui. Alors continuons. BrightHouse admet par ailleurs mener une série de recherches pour un gros client figurant dans le classement annuel des entreprises établi par le magazine Forbes. En soi, la précision n’est pas étonnante, puisqu’il en coûte au minimum 250 000 dollars pour accéder à ses découvertes. Le plus intéressant est que, utilisant l’indice fourni par BrightHouse, seules quatre sociétés figurant dans sa liste de clients sont conformes à la description : Delta Airlines, une compagnie aérienne ; MetLife, une compagnie d’assurances ; Georgia-Pacific, un géant de l’emballage industriel et… The Coca-Cola Company.
Aucune de mes sources chez le fabricant de sodas ne m’a directement confirmé l’usage des recherches menées sur le cerveau humain. Au mieux, on a admis que la Compagnie suivait « tout cela de très près, parce que, dans un univers ultra-compétitif, aucune direction ne devait être laissée de côté ». L’un de mes informateurs, recourant au conditionnel de rigueur, s’est toutefois laissé aller à une confidence de poids : « Si c’était le cas, nous pourrions apprendre comment une marque parvient à s’imposer dans l’inconscient humain et y rester. Nous pourrions apprendre, par exemple, que, concernant les enfants, il est plus efficace de répéter, encore et encore, le même spot publicitaire afin de créer une fidélité à vie ».
Un autre élément s’avère pour le moins troublant. En 2004 se tenait à Singapour un forum réservé aux professionnels du marketing à destination des enfants. Et Karen Tan, représentante de Coca-Cola, expliqua comment s’imposer en tant que marque dans leur esprit. Comme ma source anonyme, elle avait évoqué le même exemple. Celui de l‘intérêt de la répétition du même message publicitaire. Une théorie qui, j’en suis convaincu, est née dans une des salles de recherche de l’université d’Emory.
Le neuro-marketing a, ou aura, des conséquences sur la pandémie d’obésité. Une fois que l’industrie agroalimentaire parviendra à briser les dernières barrières de notre cerveau, rien n’empêchera la profusion de messages publicitaires incitant à la consommation de produits néfastes à la santé. Et il ne faut pas croire que je parle ici d’un avenir hypothétique et lointain. Si Emory est le centre mondial des recherches en la matière, il n’est pas le seul. En Europe, à Barcelone, le même style d’expériences est mené. Pis, toujours à Singapour, Jens Rasmussen, représentant du fabricant de sucettes Chupa Chups, a révélé que sa compagnie sponsorisait une campagne de recherches européenne du même type. Afin de trouver comment « créer des consommateurs fidèles ».
La France n’est pas épargnée non plus. Selon Nathalie Sapena, une société nommée Impact Mémoire mène également des recherches sur le cerveau et les messages publicitaires à Lyon. Voir L’Enfant jackpot, Flammarion, 2005. »
La suite ………….demain.
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