Extrait de Toxic Food, le livre de William Reymond :
« En somme, peut-être sans s’en rendre compte, en présentant sous ses labels et caution des informations « sponsorisées » par un industriel devant une assistance constituée principalement de médecins et journalistes, le CRÉDOC avait favorisé le mélange des genres et, in fine, trompé le consommateur.
Il faut s’interroger aussi sur le sens donné par Coca-Cola France au terme « financement ». À en croire la représentante du groupe, la Compagnie s’est bornée à acheter une partie des résultats d’une enquête scientifique du CRÉDOC.
En réalité, comme me l’a indiqué France Bellisle, caution scientifique de la présentation :
« La société Coca-Cola n’a pas participé à l’acquisition ni au traitement des données. Cependant, elle a ajouté des questions et suggéré d’étudier des aspects spécifiques de la prise de boisson, par exemple la consommation de boissons sucrées à différents âges de la vie. »
Du simple financement de l’exploitation de l’enquête du CRÉDOC, nous venions donc de passer à l’ajout de questions et à la suggestion d’aspects spécifiques.
Mieux, Coca-Cola s’investit aussi beaucoup dans la préparation de la conférence publique. France Bellisle, remarquant en prologue à ses réponses que mes « questions portaient spécifiquement sur les conflits d’intérêt » qu’elle aurait pu avoir, m’expliqua en effet avoir « travaillé ensemble avec Coca pour préparer la conférence. Plusieurs réunions de préparation ont été nécessaires. Il a fallu s’entendre sur la présentation des données et préparer des diapos susceptibles d’être comprises. Ce travail n’est pas différent qu’il y ait ou non contribution d’un partenaire industriel. »
De toute évidence, le rôle joué par le géant de la boisson à bulles dépasse largement celui du simple financement. Et impose de répondre à une autre interrogation : en suggérant des questions, en orientant l’étude vers certains aspects scientifiques, la compagnie Coca-Cola s’assurait- elle que le produit fini – l’enquête du CRÉDOC – servirait ses objectifs commerciaux ?
Pour tout dire, si la présence de Coca-Cola France aux côtés de médecins et d’un organisme financé par des fonds publics peut étonner, elle est conforme à la stratégie mondiale adoptée par le géant américain.
Ainsi, et cela vous a peut-être échappé, depuis bientôt cinq ans Coca-Cola n’est plus un fabricant de boisson saturée en sucre – et donc responsable de la pandémie d’obésité – mais un spécialiste de l’hydratation !
Un positionnement martelé dans chaque discours interne, sur l’emballage de ses produits vendus aux États-Unis, et même sur Internet où, désormais, la marque propose de « découvrir plus de 80 moyens de s’hydrater », dont la majorité consiste à consommer des produits de sa vaste gamme.
Ce nouveau positionnement répond à deux tendances. D’abord l’appétit du consommateur envers des produits considérés « bons pour la santé » et, surtout, la volonté de la marque de ne pas être montrée du doigt quand on évoque la crise mondiale d’obésité.
La défense de l’hydratation relève donc du vertueux cache-sexe.
Une excuse d’autant plus spécieuse que, comme le rappellent les chercheurs de l’université de Clemson, en plus de son absence de valeur nutritionnelle et de sa teneur en sucre, un soda contient souvent de la caféine. Qui n’est autre qu’un diurétique entraînant, via l’urine, une perte de fluides et donc la… déshydratation !
Que Coca-Cola souhaite que les Français boivent plus et pas uniquement de l’eau est dans l’ordre des choses.
Que le CRÉDOC serve de tremplin à ce genre de message semble plus étonnant, même si l’organisme n’a jamais caché travailler « contractuellement pour des entreprises privées ».
Mais le plus gênant réside dans le fait que des scientifiques renommés servent de caution au message publicitaire d’une multinationale.
Prenons le cas de France Bellisle, qui est, comme je l’ai déjà précisé, directrice de recherche à l’INRA et nutritionniste reconnue mondialement. Son rôle dans la présentation de « l’enquête » du CRÉDOC ayant été largement évoqué plus haut, il ne s’agit pas de remettre en cause ici ses qualités professionnelles, mais de constater qu’elle ne semble pas effrayée par la présence grandissante de l’industrie agroalimentaire dans les coulisses de la médecine et de la recherche.
Mieux, révélant un point qui n’a jamais été mis en avant lors de la conférence de presse au MEDEC – et donc jamais reproduit dans la presse -, la scientifique m’a confié n’avoir pas été engagée sur ce projet par le CRÉDOC mais par… Coca-Cola. « Mon travail de recherche porte le plus souvent sur la prise alimentaire humaine, écrivit-elle. C’est à ce titre que Coca-Cola, qui souhaitait avoir de l’information sur les consommations de boissons, a fait appel à moi, en complément de l’équipe d’experts du CRÉDOC. »
Un point confirmé par Coca-Cola France : « Nous avons demandé au docteur France Bellisle, compte tenu de son expertise dans le comportement alimentaire, de participer à la réflexion et à l’interprétation des données CRÉDOC en collaboration avec les experts du CRÉDOC qui avaient mené l’étude. »
Soit. Mais les relations nouées par France Bellisle avec le milieu industriel ne s’arrêtent pas là. Ainsi, en plus de ses activités à l’INRA, ce médecin est la présidente du Comité de communication de l’Institut français (IFN), « interface entre les milieux scientifiques et ceux de la production agroalimentaire », créé en 1974 par deux professeurs « et plusieurs industriels ».
Une activité non rémunérée qui donne tout loisir d’échanger avec les géants de la toxic food.
Ainsi le comité présidé par France Bellisle accueille huit scientifiques mais également des représentants de Nestlé, Danone, Kellogg’s et… Coca-Cola.
L’IFN n’est pas la seule association fréquentée par la directrice de recherche à l’INRA. On la retrouve par exemple au sein du Conseil européen de l’information sur l’alimentation (EUFIC), une « organisation à but non lucratif qui fournit aux médias, aux professionnels de la santé et de la nutrition, aux enseignants et aux leaders d’opinion, des informations sur la sécurité sanitaire et la qualité des aliments ainsi que sur la santé et la nutrition s’appuyant sur des recherches scientifiques en veillant à ce que ces informations puissent être comprises par les consommateurs ».
En clair ? Un groupe qui reformate les informations scientifiques pour les rendre accessibles au plus grand nombre.
Là, France Bellisle siège au Conseil consultatif scientifique avec d’autres grands noms européens de la recherche.
Tout cela pourrait être acceptable si, parmi les articles du site de l’EUFIC, ne se glissaient pas certaines perles comme « le chewing-gum contrôle l’appétit » ou « le grignotage, une tendance forte pouvant jouer un rôle bénéfique pour votre santé ». Des articles donnant une sérieuse indication sur la manière dont l’organisme veille « à ce que ces informations puissent être comprises par les consommateurs ».
En fait, pour comprendre la motivation de l’EUFIC, il faut regarder du côté de ses soutiens financiers.
Une liste que l’on dirait sortie de l’édition annuelle du classement Forbes des plus grandes entreprises qui comptent. Ainsi, le groupe est « cofinancé par la Commission européenne et l’industrie européenne des aliments et des boissons. L’EUFIC est dirigé par un conseil d’administration dont les membres sont élus par des sociétés membres. L’EUFIC compte actuellement les membres suivants : Barilla, Cargill, Coca-Cola HBC, Coca-Cola, DSM Nutritional Products Europe Ltd., Ferrero, Groupe Danone, Kraft Foods, Masterfoods, McCormick Foods, McDonald’s, Nestlé, Novozymes, PepsiCo, Pfizer Animal Health, Procter & Gamble, Südzucker, Unilever et Yakult. »
On comprend mieux pourquoi, dans la déclaration de transparence signée par l’ensemble de ses membres, l’EUFIC tient à préciser : « L’EUFIC n’agit pas en tant que porte-parole de l’industrie et ne souhaite pas être perçu comme tel. »
L’EUFIC, l’IFN… On retrouve souvent France Bellisle là où les géants de l’agroalimentaire se trouvent.
Une proximité épinglée, aux États-Unis, par l’association de consommateurs CSPI dans le cadre du programme « Integrity in Science », intégrité en science.
Il y a un an, le groupe révélait qu’une synthèse bibliographique cosignée par France Bellisle et publiée par The American Journal of Clinical Nutrition (AJCN) avait « négligé de révéler les liens financiers unissant les deux auteurs et l’industrie de la boisson».
Le CSIP expliquait par exemple que France Bellisle siégeait au sein de Yadvisory board de McDonald’s.
Si l’AJCN avait oublié de préciser les relations de la chercheuse avec le roi du fast-food – et pour le coup, l’un des plus gros vendeurs mondiaux de boissons du groupe Coca-Cola -, le journal scientifique recelait une autre information intéressante. Listant les sources de financement des travaux co-réalisés par Bellisle, l’ACJN nota la présence de The American Beverage Association, groupe spécialisé dans le lobby dont les membres principaux sont… Pepsi-Cola et Coca-Cola. Il va sans dire que les recherches en question dédouanaient de toute responsabilité les boissons sucrées dans l’augmentation des cas d’obésité ! Une étude qui, selon le CSIP, allait en sens contraire à la majorité des publications et recherches sur le sujet.
Bouclant la boucle, c’est bien cette chercheuse émérite que l’on retrouve derrière les lignes de France Soir – « contrairement à ce que l’on pour-rait penser, les boissons rafraîchissantes sans alcool, en particulier les sodas, contribuent peu aux apports caloriques, et, toujours selon l’étude, il n’y aurait pas de corrélation entre ces boissons et la prise de poids » – et les « conseils » d’hydra¬tation mis en avant devant un parterre de méde¬cins et sous l’égide du CREDOC lors de la conférence du 20 mars 2008 à Paris.
Une fois encore, il ne s’agit pas ici de pointer spécifiquement le comportement d’un scientifique ou d’une compagnie mais d’illustrer un système de contrôle de l’opinion. Dont les barons de la toxic food sont, aujourd’hui, les premiers bénéficiaires.
L’ironie de l’histoire est que, pendant que la presse française reprenait comme un seul homme les conclusions sponsorisées par Coca- Cola, le New York Times levait, lui, un énorme lièvre illustrant l’infiltration des industriels dans le monde de la recherche. Et, par là, confirmait le succès des méthodes inventées par John Hill.
Le quotidien revenait sur un article publié en octobre 2006 dans le New England Journal of Medecine. Où le docteur Claudia Henschke, une sommité, affirmait que 80 % des décès liés au cancer des poumons étaient évitables par un recours plus large aux scanners. Après des années de mise en accusation, les industriels du tabac pouvaient donc esquisser un sourire. Sauf que, derrière les conclusions de la scientifique, le Times découvrit dans les sponsors de l’article la présence de la Foundation for Lung Cancer: Early Detection, Prevention & Treatment.
Une association dont les 3,6 millions de dollars de budget ont, ces trois dernières années, été entièrement financés par un fabricant de… cigarettes.
Là encore, la boucle était bouclée.
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