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budget pub pour enfant

Extrait de Toxic, le livre passionnant de William Reymond :

« Le 29 septembre 2006, l’Union fédérale des consommateurs-Que Choisir partait en guerre contre les « fabricants d’obésité ». Les propos d’Alain Bazot, son président, étaient sans équivoque : « Les publicités télévisées pour enfants influent sur les comportements alimentaires des enfants. […] Nous ne pouvons plus admettre le discours de l’industrie agroalimentaire qui a tendance à botter en touche, se dégageant de ses responsabilités en prônant plus de sport pour les enfants ou bien en culpabilisant les familles qui laissent les enfants regarder la télévision ».

Et pour étayer sa déclaration, Bazot citait les résultats d’une enquête réalisée par l’association de consommateurs. « Sur les 217 spots alimentaires ciblant les enfants, relevés pendant quinze jours sur les plus grandes chaînes de télévision à l’heure des émissions enfantines, 89 % concernent des produits très sucrés ou gras ! » Et d’ajouter : « Globalement, les publicités participent activement à la construction de « l’idéal alimentaire » des enfants. Entre les repas, 60 % d’entre eux sollicitent viennoiseries, confiseries, gâteaux gras ou sucrés, et au petit déjeuner, 64 % réclament des céréales très sucrées, des viennoiseries, gâteaux et confiseries, produits qui font l’objet de l’investissement publicitaire le plus massif ». Des déclarations vigoureuses suivies d’une conclusion de l’UFC- Que Choisir des plus intéressantes : « En concentrant sa puissance de feu publicitaire destinée aux enfants sur des produits manifestement déséquilibrés, l’industrie agroalimentaire participe à l’augmentation alarmante de l’obésité infantile ».

La conférence de presse d’Alain Bazot était à peine terminée que déjà tombait une dépêche AFP reproduisant la réponse des publicitaires. Forcément, ils étaient outrés. « Dire que la publicité est à l’origine de l’obésité est totalement faux », protestait Régis Lefèbvre, directeur associé de Publicis Conseil. Réfutant les propos de l’UFC, il soulignait plutôt « une corrélation très forte entre la pauvreté et l’obésité », citant une enquête Obepi 2006 publiée une semaine auparavant, et selon laquelle la fréquence de l’obésité restait inversement proportionnelle aux revenus. Seuls les produits de marque font de la publicité, assurait en outre M. Lefèbvre, assénant : « Ce sont les personnes à faibles revenus qui achètent des produits premiers prix, souvent plus gras, plus sucrés, et qui sont obèses. La publicité n’est donc en rien responsable de la progression de l’obésité ».

Dans son roman pamphlet consacré à la publicité, Frédéric Beigbeder a de nombreuses formules virulentes lorsqu’il s’agit de décrire son ancien métier. Parmi celles- ci, j’en retiens une : « Pour réduire l’humanité en esclavage, la publicité a choisi le profil bas, la souplesse, la persuasion ». Les mots de Beigbeder s’avèrent en dessous de la vérité. Nier l’influence de la publicité dans la pandémie d’obésité est une hérésie. Comme de prétendre qu’il s’agit seulement d’un problème de classe. Certes, en France comme aux États-Unis, les premiers touchés sont les plus pauvres. Mais, a contrario, voit-on le pouvoir d’achat épargner les autres ? Évidemment non. Si le terme pandémie a été utilisé durant la conférence de Sydney, c’est bien parce que justement toutes les tranches d’âges et de classes sont confrontées à ce mal. Si les plus pauvres sont les plus atteints, c’est parce que leur accès à une nourriture plus saine et à des infrastructures sportives est limité.

En vérité, la publicité conditionne le consommateur à se tourner vers des familles de produits. Et son achat se voit ensuite lié à l’épaisseur de son porte-monnaie : s’il n’a pas les moyens d’acquérir le produit vanté par un spot, il optera pour son équivalent portant le label d’une marque de distribution.

Au lieu d’affirmer que ces produits-là sont plus mauvais pour la santé que ceux arborant un label connu (et donc un budget publicitaire), Régis Lefèbvre aurait dû s’inspirer des remarques de Jean-Michel Cohen et Patrick Serog et se révolter face à l’injustice qu’ils décrivent : « Accepter qu’un produit vendu moins cher, coûtant donc moins cher à fabriquer, soit d’une moins bonne valeur nutritionnelle relève de l’inadmissible. […] Conclure que quelqu’un qui n’a pas d’argent mange moins bien que quelqu’un qui en a demeure plus que troublant. Cependant, un constat choquant est là : on ne vend pas à quelqu’un qui dépense peu une aussi bonne alimentation qu’à quelqu’un qui dépense beaucoup ».

Pour tout dire, la position du directeur associé de Publicis Conseil ne m’étonne guère. L’un des avantages lié au fait de vivre aux États-Unis est d’être souvent confronté à certains phénomènes avant qu’ils ne débarquent ailleurs. Et comme l’Amérique est le foyer originel de la crise d’obésité, cela fait déjà quelque temps que les effets néfastes de la publicité sur les comportements des enfants y sont dénoncés. Des accusations balayées d’un revers de la main par les représentants du métier. Face au même type de reproches que ceux vilipendant les « écrans plats pour ventres ronds », se sont élevées les mêmes voix scandalisées des professionnels de la pub. Tout aussi agacés par ce type d’assaut que les publicitaires français, leurs réponses furent néanmoins plus élaborées. En 1997, les publicitaires définirent en effet leur mission comme un travail d’éducation de la jeunesse : « Faire de la publicité en direction des enfants […] n’est rien d’autre que de l’éducation primaire dans un environnement commercial […] Un passeport pour une forme de sagesse utile. Au lieu d’être restreinte, comme certains le suggèrent, cette véritable leçon éducative devrait recevoir un plus grand soutien, être encouragée et élargie ». La parade était habile : essayer de se substituer aux services officiels et aux familles pour « vendre », il fallait quand même oser.

Un peu plus tard, changement de fusil d’épaule. Le registre de la publicité comme source de savoir n’ayant pas marché, les génies de la « pub » font machine arrière. Ils en viennent, cette fois, à mettre en doute les vertus de leur « art ». À les en croire, celui-ci serait loin de fonctionner et de conditionner les consciences comme d’aucuns l’affirment : « En réalité, il n’existe pas de preuve que la publicité soit une source d’influence majeure sur les choix alimentaires des enfants. Il existe même plutôt des preuves substantielles du contraire. Que ce sont d’autres facteurs, notamment les préférences en termes de goût et l’autorité parentale, qui sont les sources d’influence principales».

La litanie des postures destinées à désamorcer les critiques n’a pas cessé depuis. Tour à tour, on a entendu les instances corporatives affirmer que la publicité des groupes agroalimentaires à destination des enfants était l’expression d’un droit fondamental à la liberté d’expression, puis un moteur essentiel de l’économie, mais aussi un divertissement sans conséquence, et même une manière d’exprimer sa confiance envers l’aptitude à prendre des décisions intelligentes de la jeunesse du pays.

Ce dernier argument a le don de faire exploser certains nutritionnistes américains. « D’un côté, notre société reconnaît que les enfants ne sont pas assez mûrs pour effectuer des choix raisonnables et donc, nous contrôlons la promotion de l’alcool, des armes à feux et du tabac, rappelle l’un d’eux, Walter Willett. Mais de l’autre, nous considérerions que ces mêmes jeunes enfants pourraient faire des choix rationnels concernant la nourriture. Or ces décisions ont des conséquences sanitaires graves. Et nous les exposons à un intense marketing en faveur de produits largement privés de valeur nutritionnelle et saturés de calories ».

Mais avant de condamner, il faut au moins accorder le bénéfice du doute. Et répondre rapidement à deux questions majeures : la publicité pour les enfants a-t-elle vraiment une influence sur eux ? Et si oui, a-t-elle sa part de responsabilité dans la pandémie d’obésité ?

Qui serait prêt à consacrer 15 milliards de dollars par an, année après année, à une expérience sans succès ni retour sur investissement ? Évidemment personne. Or c’est le budget de la publicité à destination des enfants aux États-Unis. À lui seul, ce chiffre démontre l’efficacité des spots. Autre preuve de leur impact, les publications consacrées à ce secteur en pleine croissance se multiplient et ont des titres sans équivoque. N’existe-t-il pas une revue intitulée Selling to Kids, « vendre aux gamins » ?

Le genre a même un vocabulaire spécifique, codifié et théorisé en 1992 par James McNeal, professeur de marketing à l’université Texas A&M. Où il est question du « pouvoir des petites pestes » et du nag factor, autrement dit de l’« élément caprice ». McNeal, reprenant les règles du métier, décortique précisément les différents types de pression qu’un enfant peut exercer sur ses parents. Et liste les cibles préférées des gourous du marketing. À savoir les parents divorcés, plus aisément sujets à la culpabilité, et ceux d’enfants en bas âge dont les cris et les pleurs constituent les meilleurs arguments d’achat. Selon l’universitaire texan, la loyauté d’un enfant envers une marque s’établit vers l’âge de deux ans. Le vecteur de choix afin d’arriver à une telle mainmise ? La télévision, évidemment, et ses spots publicitaires. D’où le conseil, suivi à la lettre par les groupes de l’agroalimentaire, d’investir massivement dans la publicité diffusée au moment où le petit tyran se trouve devant son petit écran.

L’enjeu est d’importance. En 2004, les enfants et adolescents contrôlaient un pouvoir d’achat s’élevant à 600 milliards de dollars. Finalement, les 15 milliards investis en publicité paraissent être une bonne affaire !

« La publicité ne marche pas », prétendent certains de ses pontes. D’accord, alors comment expliquer que sur les 600 milliards évoqués, la jeunesse américaine achète surtout des produits estampillés « vus à la télé » ? Et comment justifier que, comme par hasard, ce soit cette même industrie qui en récupère la plus grosse part ? En 1997, les adolescents ont dépensé pas moins de 58 milliards de dollars dans l’achat de snacks ! Un chiffre auquel il faut ajouter les 3 milliards des six-douze ans. Sur lesquels se greffent encore les 9 milliards directement liés à la consommation de sodas.

Directement ? Oui, car la martingale du nag factor ne se satisfait pas du marché des enfants ; elle déborde sur les achats des parents. Ainsi 60 % des plats préparés achetés pour la consommation de la famille l’ont été suite à un « choix » de l’enfant. Cette prescription concerne aussi 50 % des céréales, 25 % des snacks et 40 % des pizzas surgelées. L’enfant est devenu prescripteur pour l’ensemble des acquisitions familiales, d’où l’obligation pour les publicitaires et les industriels de le séduire le plus tôt possible.

Malgré les dénégations des géants du secteur, la publicité en direction des enfants fonctionne, on le voit. Mais, quid de sa responsabilité dans l’explosion de l’obésité ?

Là encore, le fait que la jeunesse américaine consacre une part essentielle de son pouvoir d’achat et de prescription à l’acquisition de snacks, sodas et autres sucreries devrait suffire à établir le lien entre pub et obésité. Mais pas à un publicitaire, dont la survie économique dépend de sa capacité à « vendre » une histoire. Confronté à cet argument, il trouve toujours la même parade : même sans spot, les enfants privilégieraient les produits sucrés et gras.

Sauf que tout est question d’éducation. Le message d’un parent ne peut résister à un raz-de-marée d’arguments publicitaires. C’est pour cela, d’ailleurs qu’un enfant ne parvient pas à faire la différence entre la réalité et un discours commercial. En fait, de nombreuses études prouvent que, jusqu’à huit ans, celui-ci ne comprend même pas que le but d’une publicité est de lui vendre un produit. Or, comme le dévoilait James McNeal, sa loyauté envers une marque s’est alors déjà fixée depuis… six ans.

Ce brouillage n’est pas récent. En 1978 déjà, une étude citée par une publication consacrée au marketing démontrait que 70 % des enfants de six à huit ans pensaient que la nourriture des fast-foods était plus saine que celle qu’ils mangeaient chez eux.

Plus de deux tiers des enfants considéreraient donc qu’un menu choisi chez un vendeur de hamburgers est meilleur pour la santé qu’un repas préparé par leurs parents. Face à ce constat, il est difficile de ne pas songer à l’accord signé entre McDonald’s et Disney. Nous allons voir pourquoi.

La synergie entre les deux compagnies mériterait en vérité un ouvrage entier. D’autant que Walt Disney et Ray Kroc partagent une histoire commune : les deux hommes, originaires du même État, se sont en effet rencontrés pour la première fois en 1917 en… France, où ils faisaient partie du même corps expéditionnaire engagé dans la Première Guerre mondiale.

Si l’empire Disney a été le premier à se construire, Kroc et ses Big Macs ont vite appliqué les mêmes recettes, dont l’une en particulier, imparable : afin de faire ouvrir le porte-monnaie des parents, il est plus facile de séduire les enfants.

Une vérité qu’il était encore bon de répéter voilà peu, comme l’attestent des mémorandums confidentiels publiés par Eric Schlosser dans son livre de référence, Fast Food Nation. Dans l’un de ces documents, Ray Bergold, inquiet de la mauvaise image de sa marque, écrivait : « Le challenge de la prochaine campagne publicitaire est de faire croire aux consommateurs que McDonald’s est un « ami de confiance » ». Puis, évoquant l’alliance avec Disney, le responsable du marketing du fabricant de hamburgers poursuivait : « Cette union est notre outil le plus important car il améliore l’image de la marque McDonald’s ». Un lien d’autant plus nécessaire qu’il justifie qu’un parent amène son enfant dans un McDonald’s : « Un parent veut que ses enfants l’aiment […] Venir chez McDonald’s lui permet d’avoir le sentiment d’être un bon parent ».

Les liens entre les deux enseignes se sont formalisés en 1996, quand Disney et McDonald’s ont signé un contrat exclusif de dix ans. L’accord, estimé à 1 milliard de dollars de revenus pour Disney, prévoyait que McDonald’s verse 100 millions de dollars rien que pour l’usage de la marque Disney. Dans le même document, la chaîne de fast-food s’engageait à mettre sur pied onze campagnes promotionnelles annuelles en faveur de produits Disney. Essentiellement sous la forme de jouets offerts dans les menus enfants. Des menus estimés à 670 calories, comportant plus de 30 grammes de graisse. Et dont les ventes triplèrent à chaque promotion offrant un jouet Disney. De son côté, Disney ouvrait ses parcs d’attraction au géant de l’hamburger-frites, permettant aux enfants de profiter de la magie des manèges et des spectacles avec un hamburger et un soda en main.

Mais voilà, en 2006, Disney a vécu une révolution interne. Steve Jobs, le président d’Apple, est devenu, via l’acquisition de Pixar, l’actionnaire principal du groupe. Sa première décision ? Mettre fin à l’accord unissant les deux géants. Pour Jobs, même si l’alliance avait une « valeur économique, elle renfermait d’autres préoccupations à mesure que notre société devient de plus en plus consciente des implications [sur la santé] des fast- foods ».

Traduction en langage plus direct, provenant d’une source haut placée chez Disney et citée par le New York Times : « La société veut prendre ses distances avec l’industrie du fast-food à cause de ses liens avec l’épidémie d’obésité frappant les enfants ».

Voilà qui, venant d’où on ne l’attendait pas, réduit à néant les assertions de certaines chaînes de restauration rapide et de leurs publicitaires quant à l’inefficacité de leurs messages commerciaux et l’innocuité des repas qu’ils vendent. Si cela ne suffisait pas, une étude publiée en 2005 par le National Bureau of Economic Research (NBER3) pourrait peut-être convaincre définitivement les derniers sceptiques. Chou Shin-Yi et Inas Rashad ont en effet quantifié mathématiquement les liens entre la publicité et la crise d’obésité chez les enfants. Selon eux, si, demain, la diffusion de spots consacrés à la malbouffe cessait, le nombre d’enfants en surcharge pondérale âgés de trois à douze ans diminuerait de 10 % ! Cette proportion grimperait même à 12 % chez les adolescents, là où la prochaine bataille contre l’obésité est en train de se jouer. »

la suite ….. demain.

 

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