Extrait de Toxic, le livre de William Reymond :
« Pollan et la transformation culturelle de la table américaine, Grundy et le syndrome métabolique, Dhurandhar et le virus Ad-36, Diamond et la théorie de l’évolution, Keith et les facteurs putatifs, Philipson et la modernisation de la société… Tous ces chercheurs ont un point commun. Un vecteur partagé qui, quelles que soient leurs motivations, rend, à mes yeux, leurs travaux essentiels. Tous, malgré leurs différences, refusent en effet de se satisfaire de la théorie actuelle qui résume la pandémie d’obésité à une équation à seulement deux facteurs : la surconsommation et le manque d’activité.
Si, en apparence, le « Big Two » paraît la réponse la plus évidente au drame, la vérité est incontestablement plus complexe. En conclusion de ses recherches, Scott Keith l’écrivait clairement : « Nous sommes face à une hégémonie. L’accent est en permanence placé sur le « Big Two » et nous avons accepté cette théorie comme un fait établi. En négligeant d’explorer sérieusement d’autres facteurs. Si tout part d’un choix bien intentionné, en réalité, cela a faussé les réponses permettant de réduire le taux d’obésité ».
Ces propos résonnent encore en moi. L’idée que la crise d’obésité ne soit pas uniquement la combinaison d’un excès de nourriture et d’un manque d’activité sportive correspond à vrai dire parfaitement à mon propre cheminement. Car plus j’ai avancé dans l’exploration des coulisses de la pandémie, moins je me suis satisfait de cette argumentation sommaire.
En outre, depuis le début de cette enquête, une autre impression me revenait en mémoire. Celle qui, lorsque j’avais pour la première fois foulé le sol de ce pays, me faisait dire que les États-Unis étaient vraiment le rassemblement des extrêmes. Un pays où, d’un côté, on voyait des citoyens en état d’obésité avancée et, de l’autre, des obsédés de l’apparence physique. Et il ne s’agissait en rien, dans mon esprit, de faire allusion à la relation particulière unissant l’Américain à son chirurgien plastique, mais bel et bien d’évoquer tous les acharnés du sport.
Qu’il pleuve ou qu’il vente, que le thermomètre dépasse les 40 °Celsius ou qu’il gèle à pierre fendre, il existe une constante dans la société américaine : il y a toujours quelqu’un en train de courir dehors. Ou quelqu’un qui, lorsqu’il n’effectue pas son jogging, fréquente une salle de sport.
Lesquelles sont nombreuses et souvent ouvertes vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. Ces dix dernières années, les taux d’inscription et de fréquentation ont connu une hausse constante. On a même vu apparaître des salles ultraspécialisées, certaines proposant un parcours complet d’une demi-heure montre en main pour cadres pressés, d’autres n’accueillant que des femmes redoutant d’être importunées, ou des obèses ne supportant pas le regard des autres. De la danse du ventre aux cours de strip-tease, du yoga chrétien au mini-trampoline, la carte des activités proposées ne cesse en outre de s’allonger.
Il est vrai qu’au total, le marché de la forme – et du régime – représente un chiffre d’affaires d’au moins 40 milliards de dollars ! Soit bien plus que l’estimation avancée pour les futurs médicaments du syndrome métabolique.
Bien entendu, comme tout le monde, j’ai d’abord eu une vision simple, voire simpliste, de la crise d’obésité. Une approche où il était uniquement question de volonté personnelle. Celle qui vous pousse à échanger votre pause déjeuner contre deux heures de basket-ball. Celle qui vous tient éloigné de certains restaurants et vous permet, une ébauche de sourire aux lèvres, de dire « non » au dessert. Une conception qui estimait que les gros avaient l’abandon facile, l’opiniâtreté trop élastique. Qui les voyait uniquement choisir de s’empiffrer de litres de glace Ben & Jerry’s en regardant la télé, considérer le Big Mac comme un repas équilibré parce qu’il contient la moitié d’une feuille de salade, et résumer le sport au visionnage, une bière à la main, du match de foot dominical. Bref, je les prenais tous pour des gens cédant toujours à leurs envies de nourriture, et plutôt deux fois qu’une !
Mon analyse grotesque avait toutefois un reste de conscience sociale. Je savais qu’il ne fallait pas être grand clerc pour deviner que l’obésité frappait plus chez les pauvres. Philipson et Posner, nos deux économistes de l’université de Chicago, n’ont-ils pas écrit qu’un des principaux changements de notre société est qu’il faut désormais payer pour être en forme alors qu’avant, des champs à la mine, l’homme touchait un salaire pour se maintenir en forme ?
Les auteurs admettent volontiers que cette formule est réductrice, mais, avec le recul, je ne peux que constater sa justesse. Au-delà de la mensualité versée pour rejoindre un club de sport; ceux qui souhaitent entretenir leur condition physique doivent surtout trouver le temps de s’y rendre avec assiduité. Dans une époque où il n’est pas toujours facile de joindre les deux bouts, une grande partie de la journée est logiquement consacrée à une activité rémunérée. Et pas aux loisirs, ni à la surveillance minutieuse de ce qu’on avale.
D’où la surconsommation, aux États-Unis, d’une nourriture mauvaise, trop grasse et trop sucrée. Les nutritionnistes ont beau conseiller à longueur d’émissions, de livres, de journaux, le recours à des produits frais et à des aliments de qualité, rien n’y fait. Pourquoi ? Parce que lorsque vous vivez du RMI, comme en France, ou que vous jonglez avec deux emplois, comme souvent aux États-Unis, votre pouvoir d’achat ne vous donne pas accès à ces produits-là.
Pis, vous ne sauriez même pas où les acheter. Dans certains quartiers pauvres de Dallas comme dans ceux de toutes les grandes métropoles américaines, les supermarchés brillent par leur absence. Alors qu’on trouve à profusion des McDonald’s, des TacoBell, des Burger King et des Pizza Hut, lesquels proposent des menus à bas prix tous plus copieux les uns que les autres. L’achat d’aliments à préparer soi-même est alors limité à l’épicerie du coin, quand ce n’est pas à la boutique attenante à la station d’essence. On n’y trouve quasiment jamais de produits frais, mais les gammes complètes des boissons de The Coca-Cola Company ou des produits apéritifs et de grignotage Frito-Lay, filiale de PepsiCo, figurent toujours en bonne place.
Même si je commençais à deviner tout cela, à le percevoir, même si je savais l’obésité se nourrissant d’inégalités, je persistais à croire que manger sain et peser léger relevait uniquement de sa propre volonté. Or, justement, de la volonté, j’en avais à revendre. Le temps, je pouvais le trouver ; et mon porte-monnaie m’offrait l’accès à une meilleure nourriture. Bientôt, mes kilos en trop accumulés depuis l’adolescence relèveraient donc de l’histoire ancienne.
Du moins, je le croyais…
Car, en réalité, c’est en entrant dans la peau d’un « gros » que j’ai commencé à avoir de sérieux doutes quant à la justesse de l’équation « mangez moins et bougez plus ». En effet, comme d’autres, je me suis inscrit dans une salle de fitness, j’ai surveillé mes repas.
Certes, des résultats ont commencé à poindre. Dont tous ces bénéfices qui ne se voient pas. Ce taux de cholestérol qui, chez certains, repart à la baisse ; ces escaliers montés sans avoir le souffle coupé ; ces quelques tailles de pantalons perdues. Autant de conquêtes, de victoires sur soi. OK, bravo. Mais de là à s’afficher sur une plage l’été, il y avait un pas qu’aucun membre de mon club de sport n’osait envisager.
En vérité, le duo sport + meilleure alimentation générait plus de frustration que de réelle amélioration physique. Dans cette équation, quelque chose ne fonctionnait donc pas. Et surtout, une statistique étonnante me perturbait. En 2003, 45,9 % des adultes américains remplissaient ou excédaient le temps d’activité sportive recommandé par les divers organismes de santé. Et plus de la moitié était en régime permanent. Dès lors, le taux d’obésité aurait dû diminuer !
Pas de doute : à mieux y réfléchir, je n’étais plus le seul à multiplier les efforts pour un résultat plutôt mitigé. Mais il restait maintenant à comprendre pourquoi. »
La suite …. demain. On va entrer dans le vif du sujet et dans les développements intéressants de l’enquête de William REYMOND….
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