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Aux États-Unis tout commence et tout s’achève par une prière. La réunion des Overeaters Anonymous ne pouvait déroger à la règle. Le groupe fondé à Hollywood en 1960 se veut pourtant libre de toute influence religieuse. Mais, comme chez les Alcooliques anonymes, son modèle, on remercie Dieu pour sa bénédiction et on invoque son soutien dans l’épreuve.

La séance dépasse rarement les deux heures. Après une introduction de l’hôte, chaque « invité » partage son histoire, cherchant, in fine, main dans la main, le soutien des présents. Et, malgré leurs différences, tous révèlent des vies passées à essayer de combattre la nourriture.

Elle, la quarantaine élégante, n’est pas réellement obèse. Quelques kilos en trop, c’est vrai, mais rien d’extraordinaire. Depuis toujours, elle lutte contre son corps, hantée par un idéal façonné par tant d’années à jouer avec sa Barbie. Forcément, son drame, car c’est de cela qu’il s’agit, parle à tous : un tiers des fillettes du cours primaire préféreraient être plus fines. Oui, une enfant sur trois, âgée de six et sept ans, est déjà complexée par une apparence qui ne correspond pas aux prétendus canons de la beauté.

Puis c’est son tour. Les traits de son visage sont mangés par la graisse. Comme souvent dans ces cas-là, il est impossible d’estimer son âge. Peut-être a-t-il trente ans, peut-être moins. Il parle de nourriture comme d’autres de drogue ou de jeu. C’est un bouffeur compulsif. Un accro. Il sait, il le confie, que ses jours sont comptés. Mais il mange pour oublier.

Son parcours, accumulation d’orgies alimentaires, émeut l’assemblée. La discussion s’engage. Et ce soir-là, comme fréquemment chez les Gros Mangeurs anonymes, tous aboutissent à la même conclusion : la vie est un piège auquel il est impossible d’échapper.

L’Amérique croule sous la nourriture. Et cette omniprésence a deux corollaires. L’un qui paraît, nous allons le voir, constituer un vecteur essentiel de la crise d’obésité. L’autre qui crée un paradoxe de plus.

Alors que plus de 60 % de la population est en surpoids, certains Américains connaissent encore la faim. Le rapport 2006 de l’USDA, l’équivalent outre- Atlantique du ministère de l’Agriculture, estime à environ 35 millions les Américains qui se sont retrouvés au moins une fois l’an passé dans l’impossibilité de manger. Même si ces chiffres sont à prendre avec des pincettes – l’USDA est avant tout un outil destiné à promouvoir la production agricole -, il éclaire la situation d’une lumière particulière. Une situation folle où presque deux tiers des habitants seraient victimes de l’omniprésence de la nourriture tandis que 12 % souffriraient de son absence.

C’est peut-être la force de l’habitude. Mais avant d’avoir fait l’effort de regarder ceux qui m’entouraient aux États-Unis, je n’avais jamais remarqué combien la « bouffe » est partout. Tout le temps. Ici, manger n’importe quand, n’importe comment et n’importe quoi, constitue la donnée majeure de l’environnement américain.

Pour tout dire, j’étais en train de satisfaire un besoin naturel lorsque j’ai pris conscience pour la première fois de ce bombardement permanent, de ce matraquage incessant. À dix centimètres de mon nez, à hauteur parfaite pour que l’on ne puisse pas y échapper, au-dessus de l’urinoir, une publicité vantait des barres protéinées, saveur forêt-noire. Et, même en cet instant particulier, le cliché du gâteau à la crème saupoudré de chocolat s’avérait appétissant. Oui, vous lisez bien : j’étais dans mon club de sport et, jusque dans les toilettes, l’appel à « plus manger » me poursuivait.

Si le cocasse de la situation me fit d’abord sourire, je réalisai vite ce que cela signifiait et combien l’incitation à avaler, dans les deux sens du verbe, tout et n’importe quoi, prenait des proportions cauchemardesques que n’aurait pas reniées Kafka.

Prenons donc Lifetime, la salle où je me rends cinq à six fois par semaine afin de tenter de rééquilibrer la balance entre ce que je mange et les calories que mon corps brûle. La majorité des 3 000 membres du club viennent ici pour les mêmes raisons. Le lieu devrait donc être un temple dédié à la forme. Mais voilà, ces murs ont depuis longtemps été souillés par des publicités alimentaires. En plus des toilettes, le vestiaire aussi reçoit son lot d’affiches. Certes, toutes vantent des produits dits sportifs. Mais comme ils sont souvent riches en sucres, leur surconsommation se révèle aussi néfaste que celle de n’importe quel autre aliment. Or, l’habileté de ces pubs, c’est l’illusion créée par les agences de marketing. Car qui lit sportif pense positif pour son corps. C’est faux mais ça marche. J’ai ainsi un jour assisté à une scène incroyable, voyant, effaré, un obèse, après une séance légère d’exercices cardio-musculaires, se précipiter sur un demi-litre de Gatorade et une barre aux protéines, engouffrant en somme cinq fois plus de calories que celles qu’il venait péniblement de dépenser.

Dans l’établissement, les tentations sont partout. Il y a les distributeurs de boissons de The Coca-Cola Company, installés aux emplacements stratégiques et sur les lieux de passage. Mais aussi le café situé à la sortie. Avec sa connexion sans fil à Internet, ses sandwichs équilibrés et… son offre spéciale pour l’achat de deux paquets de M&Ms!

Et encore, mon Lifetime est un lieu protégé. Certains clubs de sport se sont en effet associés à la chaîne Starbucks, enseigne de Seattle qui propose des cafés enrichis à la crème et au sucre, « oubliant » de préciser que certains dépassent les 500 calories soit, dans une tasse, un quart de l’apport journalier d’un adulte !

Mais le véritable choc se situe à l’extérieur. Sur le trajet de dix minutes en voiture me séparant de mon domicile, j’ai compté 37 enseignes vendant de la nourriture. Or, vivant dans un quartier résidentiel, il convient de considérer ce chiffre comme faisant partie de la fourchette basse. Dès que l’on approche des grands lieux d’échanges, des principaux axes routiers, les tentations pour manger à bas prix, là et tout de suite, se multiplient dans d’incroyables proportions.

Aujourd’hui, l’Amérique compte plus de 925 000 restaurants. D’après un document de The National Restaurant Association, ce nombre aura dépassé le million d’ici 2010. Le groupement d’intérêts de la restauration annonce même fièrement être devenu l’un des fondements du moteur économique américain. Il faut dire que la consommation en restaurant représente désormais 4 % du PNB des États-Unis. Traduit en dollars, le résultat est faramineux : chaque jour, plus de 1,4 milliard de dollars sont dépensés dans ces établissements.

Aux restaurants, il faut ajouter les points de vente des chaînes de fast-foods. Il en existe 186 000 à travers le pays, dont 14 000 sont des McDonald’s. En 1970, la restauration rapide représentait 3 % des calories consommées quotidiennement par les Américains. Désormais, le pourcentage est quatre fois plus élevé.

Échapper à la nourriture est ici impossible. Aux endroits où on la consomme, il faut encore ajouter ceux où on la vend. Le territoire est quadrillé par plus de 48 000 supermarchés et 130 000 épiceries. Sans oublier les 21 000 stations-service où le commerce d’essence est devenu une activité accessoire, puisque c’est la vente de boissons et de snacks qui dégage les meilleures marges. En 2005, la Snack Food Association se félicitait que les 800 compagnies la constituant aient vendu pour 35 milliards de dollars de « grignotages » à emporter.

Cette prolifération de « dealers » ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, est assurément un vecteur de la pandémie d’obésité. Ne serait-ce que parce que, selon l’USDA, plus d’un tiers des calories consommées par les Américains le sont hors domicile. En outre, d’après la même enquête, à portion égale, les repas pris à l’extérieur comptent, en moyenne, 200 calories de plus que l’équivalent préparé dans sa propre cuisine.

La nourriture servie dans les restaurants et les fast- foods est en effet généralement plus grasse, plus riche et plus pauvre en qualité nutritionnelle que celle cuisinée à la maison. Par contre, elle a souvent meilleur goût.

Une incidence qui joue un rôle important dans la pandémie et qui ne doit rien au hasard. »

 

La suite, demain….

 

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