Extrait de TOXIC, le livre de William REYMOND :
« La grande manipulation des éleveurs de bétail nourri au grain, c’est de tenter de nous faire croire que l’E.coli 0157:H7 fait désormais partie du paysage. Qu’il est une donnée que nous, consommateurs, devons de toute façon intégrer et gérer. Impossible de les blâmer, ils ne font que reproduire en la matière la stratégie utilisée avec succès dans les crises de salmonelle. Résultat ? 1 million d’intoxications annuelles aux États-Unis contre seulement 800 en Suède, pays qui fut l’un des premiers en Europe à légiférer sur les dangers de l’élevage de masse.
Le concept de cette manœuvre d’évitement est simple : blâmer l’autre. Non pas les abattoirs, alors que la plupart du temps c’est là que la viande est contaminée – quand ce qui subsiste dans les intestins bovins entre accidentellement en contact avec le reste de la carcasse -, mais les consommateurs. À écouter les industriels, nous nous rendons malades parce que nous ne cuisons pas suffisamment nos aliments ou parce que nous utilisons des couteaux sales ayant été en contact avec de la viande crue !
Un comble !
Petit flash-back à la fois significatif et édifiant.
Au début des années 1970, le secteur du nucléaire tenta d’améliorer son image pour séduire les Américains. Mission : dépeindre cette énergie comme le moyen sûr, propre et peu cher d’améliorer la vie quotidienne. Et le Département of Energy fut le premier à déposer un brevet relatif à l’irradiation de la nourriture et à le faire valider par les organismes sanitaires.
La méthode consiste à exposer divers aliments à des rayonnements ionisants afin de détruire les micro-organismes qu’ils contiennent. « Ioniser » est le verbe employé par l’industrie agroalimentaire, parfois abusivement remplacé par le terme de « pasteurisation à froid ». Dans les deux cas, il s’agit toujours de véhiculer une image plus acceptable par le public, celui-ci n’étant guère prêt, évidemment, à encaisser qu’on irradie sa nourriture. Surtout via un accélérateur de particules ou par des sources radioactives tels le césium 137 ou le cobalt 60, comme certaines compagnies le font. En tout cas, employer d’autres mots, détourner l’attention, fut efficace puisque le procédé s’est généralisé sans trop de levées de bouclier.
Au départ, ce processus fut principalement utilisé sur les épices et les céréales, les radiations tuant les insectes souvent microscopiques nichés au cœur des aliments. Mais à partir du début des années 1980, l’ionisation a servi un processus plus commercial encore : ralentir la dégradation d’un produit. Les fruits et légumes traités mettent plus de temps à pourrir, ce qui rallonge leur période de conservation. De quoi ravir les producteurs.
L’irradiation de la viande est apparue, elle, plus tard, au milieu des années 1990 durant lesquelles la société californienne SureBeam l’expérimenta pour la première fois. Et aujourd’hui, le secteur de la viande, pensant avoir trouvé là un moyen de lutter contre les risques d’infections à la salmonelle et à l’E.coli 0157:H7, y recourt fréquemment.
Évidemment, devant cette dérive, les interrogations surgirent. Quid de la qualité à court et à long terme des aliments ? Quid des répercussions sur notre santé ? D’emblée, soyons clairs : l’irradiation ne rend pas la nourriture radioactive. C’est pour cela d’ailleurs que, pendant vingt ans, les principales critiques se sont concentrées sur les risques d’accidents liés au processus d’ionisation. Un danger réel, comme l’a montré en 1988 une fuite d’eau radioactive dans un centre situé en Georgie. 50 millions de dollars ont été dépensés par cet État pour réparer les dégâts et des traces de radioactivité ont été relevées dans les habitations proches. C’est du reste pour cela qu’en France les centres d’irradiation utilisant une source radioactive sont classés « Installation nucléaire de base » (INB), catégorie dans laquelle figurent également les réacteurs nucléaires.
Le passage à l’irradiation de la viande a, en revanche, tout bouleversé. En effet, la nature d’un produit soumis à des rayons radioactifs est modifiée. Comme l’explique Roland Desbordes, scientifique à la Commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité (CRIIRAD) : « L’aliment est mort sur le plan biologique, les tissus sont pulvérisés, l’ADN détruit ». Concrètement, un produit irradié est en fiait plus pauvre en acides aminés, acide folique et en vitamines A, Bl, B6, B12, C, E, K et PP. Une perte variant selon la durée et la puissance de l’exposition, qui peut atteindre jusqu’à 80 % chez certains produits.
Ce n’est pas tout : en traversant un poulet – un des aliments les plus irradiés dans le monde -, le rayon ionisant bleu entraîne une recombinaison chimique qui donne naissance à de nouvelles molécules. L’irradiation des lipides – le gras de la viande de bœuf, par exemple – déclenche la formation de cyclobutanones, des molécules dont la toxicité pour l’homme a été mise en évidence par plusieurs travaux.
En 2002, une étude franco-allemande a ainsi démontré que certains cyclobutanones (les 2-alkylcyclobutanones) étaient toxiques et favorisaient le développement du cancer du côlon chez le rat. Ces recherches ont déclenché une polémique dans le milieu scientifique lorsque, le 3 juillet 2002, le Comité scientifique de la nourriture (SCF), organisme en charge de la protection alimentaire au sein de la Commission européenne, rejeta les conclusions de cette équipe réunissant pourtant les meilleurs spécialistes du sujet. Avec une motivation pour le moins étonnante. Jamais dans son commentaire, le SCF ne remet en cause la découverte des chercheurs, autrement dit la toxicité des nouvelles cellules formées dans la viande suite à l’irradiation. Non, le reproche est plus spécieux : « Les effets négatifs relevés l’ont tous été au terme de recherches in vitro. Il est donc inapproprié, sur la base de ces résultats, d’effectuer une étude de risque pour la santé humaine ». En clair, on refuse de prendre en compte une menace sanitaire parce que l’étude qui l’a révélée, bien que validée par des scientifiques qualifiés, a été menée en laboratoire !
Dans une réponse au CSF, le groupe de chercheurs a maintenu sa position. Laquelle inquiète la CRIIRAD : « Du moment où l’on observe des réactions chez le rat, dont le patrimoine génétique est similaire à 99 % à celui de l’homme, on peut se poser des questions… même s’il y a un pas entre le rat et l’homme. On ne peut donc pas conclure à l’innocuité de l’irradiation des aliments pour les humains ».
Mais il faut tenir compte des données plus politiques. Actuellement, seuls huit pays de l’Union autorisent l’irradiation. À savoir la France, la Belgique, les Pays-Bas, la Pologne, l’Italie, le Royaume-Uni, la Hongrie et la Tchéquie.
L’Hexagone compte sept centres d’irradiation. Six dépendent de la société lyonnaise Ionisos, installés à Dagneux (Ain), Pouzauges (Vendée), Sablé-sur-Sarthe (Sarthe), Orsay (Essonne), Chaumesnil (Aube) et Berric (Morbihan). Le septième, exploité par la société Isotron, se trouve à Marseille.
Mais, hors de l’Europe, trente-deux autres États l’ont acceptée, incitant même l’OMC à effectuer des pressions sur l’Union européenne pour étendre son utilisation. Pourquoi l’OMC agit-elle en ce sens ?
Selon des motivations de pur libéralisme, l’interdiction d’irradiation s’accompagne souvent d’une limitation des importations de produits ionisés, ce qu’elle considère comme une limite aux échanges mondiaux.
La France importe chaque année entre 6 000 et 10 000 tonnes d’aliments irradiés.
Au-delà de l’étude controversée de 2002, ce qui étonne le plus, c’est l’absence de travaux consacrés aux effets de l’ionisation au niveau mondial. Certes, on trouve des rapports plus rassurants, comme ceux publiés par l’université Texas A&M. L’ennui, c’est que l’Electronic Beam Food Research Facility, la structure de recherche ayant conduit cette étude, a été créé grâce à un don de 10 millions de dollars versé par SureBeam. Et que, dépassant son rôle universitaire, le centre effectue même de l’ionisation commerciale, irradiant en effet une partie de la viande américaine.
En fait, à mieux y regarder, à part une étude s’étalant sur quinze semaines effectuée en Chine en 1987,(elle démontra une augmentation des anomalies chromosomiques. Une situation à l’origine de cancers), il n’existe aucune recherche conséquente sur ce sujet majeur. Comme on n’en trouve pas sur les effets produits par cette alimentation modifiée sur les enfants et les bébés. Un travail d’autant plus utile que les flocons et germes de céréales destinés aux produits laitiers infantiles sont systématiquement irradiés aux États-Unis, au Brésil et dans une vingtaine de pays. Des produits qui figurent d’ailleurs sur la liste des aliments ionisés importés en France. Tout comme les herbes aromatiques surgelées, les fruits secs, les volailles, les œufs, les crevettes, le fromage au lait cru et les cuisses de grenouille.
Pis, le processus de mise sur le marché américain, celui qui permet aujourd’hui à l’OMC de militer pour une commercialisation sans frontière des produits ionisés, est loin d’être un modèle de sérieux. En effet en 1982, le FDA, l’organisme fédéral chargé de l’approbation du processus d’irradiation, n’a pas pris le temps de lire et de valider les 441 études sur des animaux qui lui avaient été soumises, préférant n’en sélectionner que 7. Des rapports consacrés uniquement à des tests effectués sur des fruits et des légumes selon des dosages bien trop bas pour correspondre à une réalité. En 1993, sans que ses propos aient le moindre impact, Marcia van Gemert, la toxicologiste qui avait présidé la commission de la FDA sur l’irradiation, évoqua sans langue de bois les conditions de cette autorisation : « Ces études utilisées en 1982 par le FDA n’étaient pas adéquates. Elles ne l’étaient pas face aux standards (sanitaires) de 1982 et le sont encore moins face à ceux de 1993, permettant de déterminer la sécurité de n’importe quel produit, et plus encore lorsqu’il s’agit de nourriture irradiée ».
Dans sa précipitation à nous faire ingurgiter de la viande passée aux rayons, l’industrie agroalimentaire doit faire face à un autre casse-tête : le taux d’ionisation n’est pas suffisamment puissant pour détruire certaines bactéries et prions (que l’on pense responsables de la crise de la vache folle). Bien entendu, elle profite de chaque crise pour demander une augmentation des doses maximales de rayons autorisées, arguant qu’il est de son devoir de pallier la tendance des consommateurs à ne pas assez cuire leur viande. Ce faisant, elle évite une fois de plus le débat sur les véritables causes des contaminations bactériennes.
Néanmoins, un obstacle de taille subsiste pour elle : nos papilles gustatives. Qui résistent, elles ! Si l’irradiation est l’art de l’équilibre entre la sécurité alimentaire et le goût du produit, beaucoup comprennent qu’elle l’altère. Pour autant, résisterons-nous longtemps ?
La suite (tout aussi passionnante) ………..demain.
Dr BUENOS : Cet article est passionnant. Il ne me semble pas avoir jamais vu sur une étiquette une mention sur l’irradiation et la dose utilisée.
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