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Extrait du livre de Denis DOUCET, « le principe du petit pingouin » :

Commençons par un passage très pertinent tiré du livre L’autodéveloppement de Michelle Larivey et Jean Gameau, psychologues :

« Aussi est-il juste de dire que chaque société reflète implicitement une conception plus ou moins précise de la croissance personnelle. Il s’agit d’un idéal de vie, d’une conception de la personne idéale proposée par cette société et des moyens qui permettent de parvenir à cet état de chose. [..] Généralement, cette conception collective de la croissance n ’est pas centrée sur le développement optimal des ressources individuelles, mais sur leur développement partiel, dans la forme qui permet de s’adapter à cette société telle qu’elle existe. Il s’agit donc plutôt d’un fonctionnement proposé comme idéal et visant à assurer à l’individu une satisfaction suffisante, sans qu’il nuise à la collectivité dans son état actuel.

La société n’a donc pas pour but, contrairement à ce qu’on vous laisse croire, de vous rendre heureux, mais simplement de vous satisfaire juste assez pour que vous ne vous rebelliez pas. Son but est sa propre perpétuation, non votre satisfaction.

À l’instar des peuplades et des tribus anciennes, les plus forts l’emportent, pas vous. La manipulation est le coup de grâce moderne. C’est devenu l’équivalent de ce qu’étaient l’épée ou la hache au Moyen Âge. On a progressé, quand même ! Nous sommes plus civilisés qu’avant.

«Il y a, au plus haut degré, ce qu’on appelle l’autorité. On l’écoute avant même qu’elle ait parlé», disait Anatole France. Voilà justement le problème : ces discours à la Big Mouth qui prétendent faire autorité ne souffrent pas la critique, encore moins la désobéissance.

Dans nos sociétés modernes, l’autorité ne s’impose plus par la force, mais par la subtilité. Autorité hiérarchique, autorité professionnelle, autorité de statut social, autorité gouvernementale, autorité religieuse diffuse, autorité policière, autorité morale, autorité scientifique, autorité journalistique, autorité de toute provenance se déguisant en « gentil » pour mieux passer inaperçue, pour mieux commander sans en avoir l’air. Il suffit d’affirmer une chose avec un semblant d’autorité pour être cru sur parole. C’est désolant, ne trouvez-vous pas ?

À l’inverse, «l’autorité d’un seul homme compétent, qui donne de bonnes raisons et des preuves certaines, vaut mieux que le consentement unanime de ceux qui n’y comprennent rien », a énoncé un jour Galilée. Je préfère largement cela ! Je n’ai pas de problème avec cette affirmation qui autorise que vous exerciez votre propre sens critique, votre jugement.

Soyons honnêtes, on le fait même entre nous. On recourt à des statistiques en les traficotant à notre avantage, en invoquant tel ou tel personnage célèbre pour en tirer une citation qui nous sert bien, on met en doute l’adversaire, on entretient dans notre esprit une réserve de phrases toutes faites dans lesquelles on puise selon les circonstances, etc.

Voici un exemple qui illustre bien les jeux perceptuels et les pièges de chaque époque. Savez-vous pourquoi l’Église catholique a perdu la bataille des idées dans les pays industrialisés modernes? Eh bien, c’est en grande partie parce qu’elle n’arrivait plus à rivaliser avec d’autres éléments nouveaux qui ont impressionné encore plus l’esprit des gens.

Autrefois, l’église était le bâtiment le plus élevé et le plus grand du village. La décoration intérieure était d’apparence plus riche que celle des maisons de la plupart des pratiquants et les statues religieuses décorant les murs, plus grandes que partout ailleurs. Les sermons paraissaient impressionnants parce que les villageois n’étaient pas instruits mais le prêtre, oui. Il maîtrisait mieux le verbe et la parole, donc son charisme ralliait tout le monde autour de lui. Son pouvoir d’influence s’en trouvait décuplé. On n’osait rien faire sans son consentement. Il incarnait l’autorité religieuse.

Avec la montée de la démocratisation de l’éducation, les gratte-ciel et les villes, les découvertes scientifiques et la pensée rationnelle, les églises, les sermons, les démons et les saints ont perdu des plumes. Ces croyances sont devenues obsolètes, sauf pour certaines personnes âgées encore attachées à la tradition comme repère et guide de vie. Il s’agit d’un phénomène en voie de disparition dans les pays riches, selon mon intuition, d’ici quelques décennies au plus tard.

Autre facteur : le niveau de vie des gens, de la classe moyenne surtout, qui a rendu désormais non nécessaire de se faire promettre une meilleure vie dans l’au-delà, puisque celle-ci s’est vue améliorée, matériellement du moins.

Qu’à cela ne tienne, Big Mouth ne se laisse jamais abattre. Il a tout simplement changé de garde-robe. De nos jours, il s’habille en veston-cravate et se pavane avec de gros billets de banque, en homme d’affaires ou en scientifique. Ce sont nos nouvelles « religions », car ces types-là nous impressionnent tous. On perd notre sens critique devant eux, on boit leurs paroles comme si on avait affaire à des dieux, avec les plus (fin de l’obscurantisme dogmatique d’une seule Église) et les moins (hypertrophie des technologies et de l’argent comme symboles de l’avancement social) que cela implique.

Précisons. Je ne suis pas contre la science, mais je déplore son comportement du type «hors de la science, point de salut ! ». Cela ressemble étrangement à nos villages d’antan. Et je suis déçu chaque fois qu’elle se prostitue en pseudo-vérité comme argument massue pour défendre une thèse ou une autre – ce n’est pas la faute des vrais scientifiques sérieux, mais de gens malintentionnés qui se servent du mot « scientifique » à toutes les sauces, quand bon leur semble.

Autre déception : le travestissement de la science en production de technologie de masse centrée sur le profit, alors que la recherche fondamentale – dont l’objectif n’est pas de créer un nouveau produit à vendre, mais l’avancement du savoir – se marginalise de plus en plus, étouffant sous des budgets maigrelets et dérisoires.

Hubert Reeves disait à peu près ceci : une partie de l’évolution de l’Univers est régie par des lois, et l’autre semble non causale (pas de lien de cause à effet apparent). J’ai l’impression que Big Mouth est de cette nature : on peut en partie saisir les raisons et les sources de son existence, mais en même temps, il nous glisse des doigts. Il a toujours été là, mais il est devenu plus tentaculaire que jamais au dernier siècle. D’ailleurs, le XXIe siècle ne semble pas s’annoncer meilleur. D’où la nécessité de le dénoncer, afin que de plus en plus de gens s’en prémunissent et sachent s’en défaire le plus possible.

Big Mouth partage une caractéristique commune avec Dieu : l’omniprésence. En tous lieux, en tout temps, il est là et se répand. Par contre, sous un autre angle, je le qualifierais de demi-dieu en ce qui a trait à son omnipotence, car elle n’est heureusement ni absolue ni complète, mais faillible.

Voici ce que j’appellerais une ébauche de définition de Big Mouth, un nouveau concept appelé à évoluer :

Ensemble d’événements interactionnels et communicationnels exerçant une pression d’adaptation sur l’individu, sans considération à l’égard de ses besoins. Ces événements peuvent être générés par d’autres individus, organisations, institutions ou idéologie d’une société donnée, à une époque donnée.

Il importe de retenir trois choses importantes de cette définition :

• Big Mouth peut être n’importe qui ou n’importe quoi ;

• Big Mouth exerce une pression sur vous ;

• Big Mouth n’attache aucune importance à vos besoins.

D’où le risque évident de vous entraîner dans une spirale d’efforts d’adaptation croissants qui vont aboutir au syndrome de la suradaptation. D’ailleurs, Big Mouth peut même être votre voisin, votre sœur, votre coiffeur.

Pourvu qu’on vous serve une demande, un ordre plus ou moins voilé, une opinion inverse à vos besoins, une phrase d’apparence anodine mais lourde de conséquences dans votre gestion de vie, une culpabilisation ; qu’on vous refile un désir ou un but qui n’est pas vôtre ; qu’on vous fasse vous sentir déviant de ne pas faire comme tout le monde ; qu’on vous menace à demi-mot de sanctions ; qu’on vous fasse croire à des risques quelconques si vous vous écartez de la norme ; qu’on vous laisse croire que vous devriez faire ceci ou cela ; qu’on vous dise comment penser ; qu’on vous amène là où lui veut vous amener, il y a probablement Big Mouth là-dessous. Du moins selon le sens de la définition précédente.

La suite ………demain.

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