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Extrait du livre de Denis Doucet, « le principe du petit pingouin » :

« Alors que le soleil se couchait à l’horizon, un petit pingouin nommé Little Boy admirait silencieusement ce majestueux spectacle, en accord avec ce que ses ancêtres avaient fait des milliers et des milliers de fois avant lui dans le passé.

Il n’avait qu’une année de vie sur cette terre, mais il y avait déjà pris goût. Chaque journée et chaque heure étaient fête et éloge de la vie. Pêcher, courir, glisser… c’était ce qu’il savait faire de mieux sur sa banquise, au pôle Nord.

Ses copains et lui avaient d’ailleurs donné un nom à cette banquise. C’était leur banquise, disaient-ils. Ils l’appelaient affectueusement la montagne russe, puisqu’ils s’en servaient essentiellement pour la glissade et la course.

Du haut de cette immense couche de glace, Little Boy avait réussi avec fierté des centaines de sauts en mer ; il y avait impressionné plus d’une femelle et pratiqué l’art du surf des neiges quand les vents d’automne s’y prêtaient.

Little Boy était un petit pingouin heureux, sans autre ambition que de jouer son rôle au sein de sa communauté, de s’amuser, de procréer, bref, de vivre sa vie de pingouin, comme tant d’autres l’avaient fait avant lui… et comme bien d’autres le feraient après.

Jusqu’au jour où Big Mouth arriva. Ce jour-là, sa vie prit une autre direction dont il n’aurait jamais pu se douter.

— Tu vas où, comme ça, mon petit? dit un gigantesque phoque à capuchon qui venait de monter sans permission sur la montagne russe.

—Je… Je ne fais rien de spécial, répondit en reculant Little Boy, qui savait que les grands phoques comme ce Big Mouth ont la fâcheuse habitude de manger les pingouins de petite taille.

— N’aie pas peur. Je ne te veux aucun mal. J’ai déjà avalé mon dîner… En fait, je suis venu en ami.

— Ah oui ?

— Bien sûr, et je vais te le prouver à l’instant.

Big Mouth sortit de derrière son dos, Dieu sait comment, un écran à plasma de près de deux mètres de largeur, avec une chaîne stéréo. Il déposa le tout sur la glace et appuya sur le bouton d’une télécommande qu’il tenait dans l’une de ses nageoires.

— Regarde toutes ces merveilles ! C’est tentant, non ? Tu aimerais savoir comment te les procurer?

— C’est quoi au juste, tout ça? Je ne connais rien à toutes ces choses, répondit instinctivement Little Boy, toujours pas rassuré.

— Bon. À ce que je vois, il va falloir tout t’expliquer… Ce sont des produits qu’on peut acheter avec de l’argent. Money, money… tu connais ?

— Euh… non. Je devrais ?

— Bien sûr ! C’est ça, la vraie vie. Pas un morceau de glace où on se les gèle douze mois par année ! Penses-y un peu ! Si tu gagnes de l’argent, le monde t’appartient. Tu peux t’acheter tout ce que tu veux. Tu saisis ? T’es pas idiot, quand même. Je ne suis pas venu jusqu’ici pour converser avec un attardé !

— Qui a dit que j’étais idiot ? riposta le petit pingouin, insulté par ce que venait de lui lancer Big Mouth.

— Mais non ! Je n’ai pas voulu t’insulter, mon ami ! Je suis venu ici t’offrir un job.

— C’est quoi un job, alors ? questionna Little Boy, qui devenait tout à coup moins sur ses gardes, sentant que la conversation prenait apparemment un ton plus amical.

— Un job, c’est ce dont tu rêvais sans le savoir. C’est quand tu fais un boulot pour quelqu’un avec un salaire en retour. Et tu fais de l’argent ! T’as saisi ?

— Bien sûr ! mentit Little Boy, qui ne voulait pas passer pour un idiot une seconde fois.

— Bien ! Là, tu parles ! Alors, tu commences quand ?

— Euh… commencer…

— Bien oui ! Je t’embauche. Tu as obtenu l’emploi. Tu veux savoir en quoi ça consiste ?

— Oui, j’imagine.

— Très bien. Chaque jour, tu m’attrapes cent petits poissons. Tu vois là-bas, ce grand bateau ?

— Oui.

— Eh bien, ces gars-là, ils paient bien. Je te donne un salaire fixe pour ton lot quotidien. Évidemment, tu auras un jour de congé par semaine.

— Oui, mais…

— Et si tu te forces un peu pour m’en rapporter plus, tu gagneras plus. N’est-ce pas un contrat lucratif et avantageux, mon ami ?

— Et ça me donnera quoi, ce salaire ?

— Ah, ces jeunes d’aujourd’hui ! L’argent n’est pas encore gagné qu’ils veulent déjà savoir comment le dépenser. Sois un peu plus patient. Quand tu auras empoché quelques chèques, je t’expliquerai. Marché conclu, alors ! On va brasser des affaires d’or, toi et moi.

Et c’est ainsi que Little Boy se mit au travail. Il utilisa le filet de pêche que Big Mouth lui avait apporté – en fait, qu’il lui louait, pour être plus exact – et parvint à honorer son contrat sans problème.

—Je vois, petit, que tu possèdes les qualités d’un gars qui a de l’avenir.

Little Boy se réjouit du compliment et avança, sans même réfléchir :

— La semaine prochaine, j’en attraperai encore plus… et des plus gros.

— Excellent ! Ces pêcheurs-là – de chics types, tu peux me croire ! – vont sûrement t’offrir encore plus si tu fais ça. J’en suis certain.

Little Boy tint parole et livra plus de poissons, toujours plus. Plus les semaines avançaient, plus il se consacrait frénétiquement à son travail, au point où on le voyait de moins en moins parler et s’amuser avec ses amis. Tout ce qui semblait l’intéresser désormais, c’était de faire plus et encore plus… de travail.

— Toi, t’as le sens des affaires. Ça se voit tout de suite, au premier coup d’œil. Crois-moi, j’ai le flair pour ce genre de chose. Je suis en affaires depuis bien avant que tu viennes au monde, et des travailleurs acharnés comme toi, on n’en voit pas tous les jours. Écoute ! J’ai une offre. Je te paie désormais 10 % de plus par lot de cent petits poissons et 15% de plus pour les gros. Qu’en penses-tu? C’est une offre que je ne fais qu’à toi. T’es mon meilleur et je tiens à te montrer combien j’apprécie ton ardeur au travail.

— OK ! J’accepte alors.

Les journées de ce pauvre Little Boy se transformèrent en une course effrénée où, chaque heure, il aspirait à faire de plus en plus d’argent. Il se mit à sauter des repas, se levait plus tôt, disait toujours non aux invitations de ses amis pour aller jouer et comptabilisait ses gains tous les soirs avant d’aller au lit.

— Bon. Maintenant que tu as si bien travaillé, tu mérites bien de te payer des plaisirs !

— Comment, dites-moi ? supplia Little Boy.

— Eh bien, c’est simple. En passant des commandes par Internet. Pour ça, il te faudra un ordinateur. Justement, j’en ai un avec moi. Ça te coûtera une semaine de salaire pour que je te le laisse. Je te montrerai comment t’en servir, c’est pas compliqué.

Little Boy accepta et commanda par Internet plein de jolis trucs que Big Mouth lui rapportait lors de ses visites quotidiennes. Sa banquise fut vite remplie d’une multitude de choses colorées et fascinantes pour lesquelles il éprouvait une grande fierté. Seulement, il en acheta tant et si bien qu’il ne restait plus de place pour recevoir ses amis. De toute façon, ceux-ci lorgnaient un peu trop à son goût ses joujoux, qu’il caressait tous les soirs, après ses éreintantes journées de dur labeur.

Il s’ensuivit que plus personne n’eut le droit de monter sur la montagne russe, et Little Boy se retrouva de plus en plus seul. Toutefois, comme son travail l’accaparait presque tout le temps, il n’en souffrit pas trop au début, se tenant occupé à utiliser et à chouchouter tous ces splendides produits accumulés avec les mois.

Arrivé au jour de son deuxième anniversaire, son employeur lui fît une nouvelle offre.

— Écoute, petit ! Tu m’impressionnes. J’ai une offre exceptionnelle pour toi. Je démarre une autre affaire dans le même domaine au Mexique. J’ai besoin d’un type comme toi pour m’aider à faire rouler ça là-bas.

Je t’offre le double de ton salaire, logé, nourri. Alors, qu’est-ce que tu dis de ça ?

— Euh…

— N’hésite pas, mon gars. C’est pas le genre d’offre qui se présente deux fois dans une vie. Crois-en mon expérience. C’est maintenant que tu dois saisir ta chance. Tu es voué à de grandes choses. C’est pas comme ces pauvres petits bâtards. De faux amis qui t’ont laissé tomber. Toi, tu sais où tu t’en vas dans la vie. Tandis qu’eux…

—J’ai travaillé dur, c’est vrai. Je vaux donc bien plus qu’eux… je l’ai prouvé.

— Là, tu parles. Ça, c’est le signe de quelqu’un qui va aller loin dans la vie. Alors, prépare tes affaires. On part demain. Tu monteras sur mon dos, j’ai l’habitude.

C’est ainsi que Little Boy poursuivit sa carrière près de l’équateur. La première chose qu’il remarqua fut la chaleur intense qui sévissait dans ces régions. Il devait faire trois fois plus d’efforts pour obtenir le même résultat que sur sa banquise. La nuit, il dormait mal, et lors de son unique journée de congé, les week-ends, il était tellement fatigué qu’il restait au lit toute la journée avec un ventilateur, sous lequel il arrivait à peine à respirer.

Plus les journées avançaient, plus il maigrissait. Son appétit s’était déréglé et sa vue faiblissait sous ce soleil brûlant qui ne prenait jamais congé.

— Tu m’as appelé, petit? Fais vite, j’ai du travail qui m’attend.

— Euh… Je suis un peu mal à l’aise de vous dire ça, monsieur Big Mouth, mais je ne crois pas pouvoir tenir ce rythme encore bien longtemps. Je ne suis pas habitué à ce genre de météo et…

— Bah ! Tu t’y feras. En attendant, prends congé demain, c’est jour de Mardi gras. Ça te remettra en forme. Va t’amuser un peu au lieu de toujours dormir comme tu le fais durant tes jours de congé.

Little Boy suivit son conseil, heureux d’avoir un patron si compréhensif. Effectivement, il revint plus en forme le surlendemain et put accomplir son boulot presque normalement. Toutefois, avec le temps, ses symptômes refirent surface. Et de plus en plus intenses, cette fois.

— Ça ne va pas, mon petit? Tu n’as attrapé que cinquante misérables petits poissons dans ta journée. Secoue-toi un peu, mon gars. Je ne te paie pas pour flâner. Considère-toi comme averti ! lui balança Big Mouth, sèchement.

Little Boy, exténué, et ne comprenant pas qu’on le traite de cette manière après plus d’une année à consacrer sa vie à ce travail, ne trouva rien à dire et alla se réfugier dans sa petite chambre, celle-là justement que lui « fournissait » son patron.

Il continua de travailler, mais la motivation n’y était plus. Il acheta de plus en plus de choses, espérant ainsi se changer les idées, mais rien n’y faisait. Il était malheureux et il le savait bien. Cependant, la simple idée de devoir admettre cet échec, de devoir affronter tous ses pairs pingouins du pôle Nord lui faisait honte.

Il poursuivit ainsi de peine et de misère un bout de temps, jusqu’au jour où Big Mouth lui annonça :

— Bon ! Je t’ai enseigné le métier, je t’ai offert un bon salaire tout ce temps-là, je t’ai fait entièrement confiance, et voilà comment tu me remercies? Sans moi, tu serais encore en train de faire tes enfantillages avec ces stupides pingouins là-bas, comme un enfant attardé. Je t’ai nourri, logé, et là tu me lâches. Tu as vu ta performance de cette semaine ? Qu’une lamentable récolte de quarante poissons par jour. Et pas des gros, à part ça ! Là, je suis désolé, mais tu es viré. Prends tes affaires et retourne là d’où tu viens. Je vais me trouver quelqu’un d’autre. Quelqu’un qui aura au moins de la reconnaissance pour ma générosité, hurla- t-il sans ménagement.

Complètement démoli, Little Boy ne sut quoi répondre. Il prit quelques affaires, utilisa ses dernières économies pour se procurer le jour même un billet pour son retour et, la nuit suivante, son avion atterrit près de sa banquise natale.

Tout plein de ses anciens copains étaient là, avec leurs petites amies, à dormir paisiblement à la belle étoile. Cette scène lui redonna un peu d’espoir sur le coup. Toutefois, juste au moment où il s’apprêtait à les saluer, il repensa à tout ce qu’il leur avait fait subir une année auparavant et préféra se retirer sur une toute petite plaque de glace qui flottait pas très loin. Là, admirant une aurore boréale qui dansait à l’horizon, il finit par s’endormir tard dans la nuit, à bout de souffle et à bout de nerfs.

Les jours passèrent sans que rien ne parvienne à lui remonter le moral. Il avait retrouvé son pôle Nord, oui, mais plus rien n’était comme avant. Il vivait loin des siens, ne mangeait que le strict nécessaire et perdait petit à petit sa joie de vivre.

Un bon matin, un bruit étrange sous l’eau le réveilla. Il ouvrit progressivement les yeux, pour finir par apercevoir une jolie Little Girl en train de monter prestement sur son petit bloc de glace.

— Vous êtes… ?

— Ah ! Je suis une pingouin, voyons ! Il me semble que ça se voit !

— Oui, bien sûr. Désolé.

— C’est ici que tu habites ? questionna la fille.

— Ouais ! Si on veut.

— Comment ça, si on veut ? C’est oui ou c’est non ?

— Ce n’est qu’un logement temporaire. Normalement, j’habite une superbe banquise là-bas.

— Et pourquoi te contentes-tu de ce petit morceau de glace, alors ? s’intéressa la jeune fille.

Little Boy s’éloigna, le cœur gros, incapable d’en dire plus. Après un moment, s’apercevant que sa dernière question avait fort chagriné son hôte, Little Girl s’approcha doucement et mit sa nageoire sur l’épaule du petit pingouin. Rassuré, et n’en pouvant plus de porter ce lourd secret, il lui avoua tout.

— Ce n’est pas de ta faute, c’est ce maudit Big Mouth qui t’a roulé. Il a fait la même chose à mon frère l’année dernière, et il a essayé le même manège avec moi l’autre jour. Tu ne dois pas t’en faire. Ce qui compte, c’est que tu aies réagi à temps et que tu sois revenu là où tu te sens vraiment bien.

— Et mes amis ? pleurnicha Little Boy.

— Tu dois les affronter et renouer avec eux. Allez! Un peu de courage. Ce n’est pas la fin du monde de se tromper. Ça arrive à plein de pingouins, tu sais.

Le petit pingouin comprit qu’il était temps qu’il s’occupe de ce qui comptait vraiment pour lui. Il suivit la suggestion de cette jeune fille et reçut un accueil très positif de ses anciens amis. Les glissades, les courses et les sauts en mer reprirent comme avant, et la joie réapparut enfin sur son visage.

Même qu’un après-midi ensoleillé, il osa avouer son amour à sa nouvelle amie, qui l’avait si bien aidé. Puis, dans les mois qui suivirent, l’on vit deux petits bébés pingouins marcher derrière eux à la file indienne. Leurs liens indéfectibles traversèrent le temps et durèrent jusqu’à la fin de leur vie, tous les quatre étant heureux de vivre simplement ce qu’il y a de plus beau sur une banquise… une vie paisible de pingouin, à laquelle leur nature profonde les avait tout simplement destinés. »

La suite……….demain.

A méditer ……….

 

 

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