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(AFP) – On l’appellera Taro. La cinquantaine élégante. Il y a quelques semaines, il a reçu un email lui annonçant que son tour de taille était de 86 cm. Pour un petit centimètre, il est théoriquement « hors la loi ». Car au Japon, pays des sumos et de l’obésité déifiée, une loi fixe une limite pour les hommes et les femmes. L’obésité serait illégale… en gros.

Depuis 2008, toutes les entreprises et administrations sont théoriquement tenues de mesurer le tour de taille de leurs employés de 40 ans à 74 ans lors de la visite médicale annuelle: il ne doit pas dépasser 85 centimètres pour les messieurs, 90 pour ces dames.

L’objectif est de réduire le nombre croissant de diabètes, de maladies cardio-vasculaires, faire baisser le cholestérol et la pression artérielle, et au bout du compte dégonfler la facture du système de santé.

« Si on appliquait une telle loi aux Etats-Unis, il n’y aurait pas assez de prisons », éclate de rire un Américain de passage à Tokyo, lui-même plutôt bien en chair.

« Ici c’est plutôt le genre filiforme », s’amuse un Européen qui avoue, un peu complexé, que depuis son installation au Japon il aurait tendance à rentrer le ventre.

Car le Japon est bien le dernier pays auquel on penserait pour un programme anti-obésité : selon l’Organisation mondiale de la santé, les Japonais sont avec les Coréens l’un des peuples les plus sveltes au monde.

Pourtant, selon une étude récente du ministère de la Santé, le surpoids et l’obésité augmenteraient depuis une quinzaine d’années, en particulier chez les hommes jeunes. Si en 1997, 23,3% des Japonais de 20 ans et plus étaient en surpoids, en 2007 ils étaient 30,4%.

La tendance est toutefois stable chez les femmes, légèrement au-dessus de 20%.

Dans l’email, Taro a été gratifié de quelques recommandations sur l’utilité du sport, d’une alimentation saine et d’une bonne hygiène de vie. Et gare à lui s’il ne gagne pas un cran de ceinture avant la prochaine visite: à la clé, sanction ultime, il pourrait avoir à suivre des sessions de conseil.

Mais la pression pèse surtout sur les entreprises : l’objectif affiché en 2008 est qu’elles réduisent, sous peine d’amendes, le nombre d’employés en surpoids de 10% en quatre ans (2012) et de 25% en 2015.

Il semble toutefois depuis peu que « l’épreuve de la ceinture » ne soit plus le critère absolu. « Nous discutons de nouvelles normes, car un rapport a récemment démontré que le rapport entre tour de taille et maladies cardio-vasculaires n’était pas aussi évident », confie un responsable du ministère de la Santé.

Au Japon, on ne parle plus de « gros » mais de « métabo » (dérivé de métabolisme), et c’est devenu un mot de la langue courante.

Patron d’une clinique « anti-métabo » depuis 2005 dans le quartier Shibuya de Tokyo, le docteur Hiroyuki Hayashi se frotte les mains: sa clinique chic reçoit 600 clients par mois, surtout des femmes.

« Oui, le surpoids gagne du terrain », et selon lui ça a commencé juste après la guerre, avec l’arrivée des Américains et leurs « armes de digestion massive » : hamburgers, T-bone, une célèbre boisson gazeuse et sucrée. Et la notion du « king size », « oomori » dans sa version nippone.

Comme par hasard c’est à Okinawa, l’île du sud du Japon qui abrite une gigantesque base américaine, qu’il y a le plus de gros.

En tout cas le Dr Hayashi n’est pas convaincu par la loi « anti-metabo »: « C’est un échec. Selon le ministère de la Santé, seulement 43,3% des 52 millions de Japonais concernés ont fait l’examen annuel, et au bout du compte 12,3% des gens ont suivi jusqu’au bout la « feuille de route médicale ».

Mais comment expliquer que malgré les quantités de nourriture qu’ils absorbent, les soirées arrosées de bière, shoshu et autre saké, malgré aussi les distributeurs de sodas et boissons sucrées à tous les coins de rue, la plupart des Japonais restent encore en majorité minces ?

Réponse d’un diététicien : ils consomment énormément de poisson et de riz, peu riches en matières grasses, le thé vert aide à brûler les graisses et le fait même de manger de petites quantités avec des baguettes, au lieu d’enfourner de grosses fourchetées, ralentit la vitesse d’absorption et facilite la destruction des graisses.

L’obésité est en tout cas devenue un créneau commercial juteux. Sur les chaînes de téléachat, il ne passe pas une heure sans des publicités vantant des appareils qui font disparaître de disgracieux bourrelets, ou d’autres promettant aux messieurs de magnifiques « tablettes de chocolat » au lieu des « abdos Kronenbourg ».

Dans des spots, on voit des femmes exulter de joie en groupe dès que l’une d’elles montre qu’elle a perdu son ventre, la preuve par le pantalon qui baille à la taille. D’autres vont jusqu’à mesurer… leur tour de mollet!

Et puis il y a ces pubs qui proposent LE comprimé miracle, à base de plantes, de coquillages, ou tout simplement de tomates. Car en février une équipe de l’université de Kyoto a établi que les tomates contenaient des substances utiles contre les troubles métaboliques et les lipides. Depuis, c’est la ruée sur les jus de tomates dont les ventes ont carrément doublé début 2012.

Dans les innombrables taxis de Tokyo on trouve de petites brochures sur le mode « avant-après » pour vanter telle ou telle clinique, dont celle du bon Dr Hayashi.

C’est d’ailleurs comme ça que M. Kato, un cadre supérieur de 33 ans a atterri à la DS Clinic. 1,85 m, 103 kg.

« A la dernière visite médicale on m’a dit qu’il fallait que je m’occupe sérieusement de mon poids ».

Convaincu qu’il doit maigrir, M. Kato l’est moins par la « loi métabo »: « dans ma boîte, dit-il à l’AFP, il y a pas mal de gens assez gros. On nous le fait remarquer à la visite, et puis on n’y pense plus ».

Chez M. Hayashi, pour perdre 10 kilos en 3 mois, il faut compter 500.000 yens, environ 5.000 euros, soit 500 euros du kilo!

Dans sa clinique, ambiance aussi feutrée que la moquette, lustres à pampilles simili cristal, le docteur taira son chiffre d’affaire. La seule chose qu’il accepte de voir grossir.

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